2.2.1. Fonctions visuo-attentionnelles et conduite

Le lien entre la conduite automobile et les déficits attentionnels dans la maladie d'Alzheimer ont été étudiés depuis longtemps. Parasuraman et Nestor ont réalisé une revue de littérature sur le sujet en 1991, indiquant que le risque d’accident de la circulation chez les conducteurs avec maladie d'Alzheimer était fortement lié aux performances attentionnelles des conducteurs et ce, dans tous les domaines de l’attention, avec cependant un poids plus important pour l’attention sélective et la flexibilité attentionnelle que pour l’attention divisée et la vigilance . Dans une étude précédente , nous avons également montré que, dans une situation de conduite réelle, les patients en stade précoce de maladie d'Alzheimer effectuaient une exploration de la scène routière significativement réduite par rapport à des conducteurs âgés sains. Duchek et al.ont montré que la majorité des accidents qui survenaient chez des patients en stade précoce de maladie d'Alzheimer étaient dus à un problème d’attention sélective et qu’ils se produisaient dans des situations bien spécifiques, où la demande cognitive et la pression temporelle sont fortes, ce qui est le cas des situations d’intersections et, en particulier, des intersections en tourne-à-gauche .

Selon Rizzo et al. , plusieurs études rapportent qu’il existerait dès les stades précoces de la maladie d'Alzheimer, des troubles visuels voire une variante visuelle de maladie d'Alzheimer. Dans cette étude, Rizzo et al. ont montré que des patients en stade débutant de maladie d'Alzheimer présentaient des déficits dans certains tests visuels, sans pour autant présenter de plainte visuelle. En fait, ce sont surtout les tests d’acuité dynamique et de champ visuel utile (CVU) qui sont particulièrement atteints dans la maladie d'Alzheimer, comparativement à des contrôles âgés (qui eux-mêmes présentent parfois les premiers signes de troubles du CVU et de l’attention visuelle, cf. chapitre précédent). Ces déficits visuo-attentionnels peuvent avoir des répercussions non seulement sur les performances cognitives des patients , mais aussi sur les capacités de conduite automobile . En effet, McGwin et al.ont montré à l’aide d’un questionnaire de conduite (Driving Habits Questionnaire, DHQ) que les déficits visuels étaient fortement liés aux difficultés en conduite éprouvées par les participants. Dans leur étude, 384 conducteurs ont reçu le DHQ, une évaluation de leurs capacités visuelles (acuité simple, acuité dynamique, sensibilité aux contrastes et CVU) et une évaluation cognitive globale (MMSE et échelle de Mattis). Les résultats indiquent que les conducteurs avec déficits visuels ressentent plus de difficultés de conduite que les conducteurs sans déficits et plus particulièrement chez les conducteurs présentant des déficits cognitifs. L’acuité visuelle semble être le point le plus important rapporté par les participants mais c’est le CVU qui était le plus pertinent pour différencier les participants avec ou sans difficultés à conduire .

Par ailleurs, Uc et al.ont réalisé une étude sur route réelle dans laquelle les participants devaient détecter dans la scène routière des panneaux de signalisation ainsi que des points de repère spécifiques. Les résultats montrent que les patients en stade précoce de maladie d'Alzheimer ont détecté significativement moins de panneaux et de points de repère que les conducteurs âgés témoins. Les patients ont également effectué plus d’erreurs de conduite pendant la recherche visuelle. Ces faibles performances sur la route étaient significativement corrélées avec les résultats obtenus par les participants à la batterie de tests visuo-attentionnels (dont le CVU) utilisée.

En résumé, la réduction importante du CVU dans la maladie d'Alzheimer est un signe important de réduction des capacités de conduite automobile chez les patients en stade précoce de maladie d'Alzheimer. Cependant Rizzo et al., dans les différentes études citées plus hauts, insistent toujours sur le fait que, bien que les mesures de champ visuel utile et de vision dynamique soient presque toujours corrélées avec les performances en conduite mesurées en situation réelle, sur simulateur ou encore à l’aide de questionnaires , ces performances sont aussi très souvent expliquées par une réduction significative des performances aux tests cognitifs et en particulier aux tests du contrôle attentionnel. Reger et al.dans une méta-analyse, rapportent que parmi toutes les études qu’ils recensent, la majorité implique des évaluations de l’attention, et en particulier de l’attention visuelle sélective. Cependant, Reger et al. indiquent que ces études sont loin d’être consensuelles et que seule une petite partie montre des déficits attentionnels précis. De plus, ces études utilisent des évaluations relativement complexes de l’attention qui, selon Reger et al., se rapportent plutôt à une évaluation du fonctionnement exécutif et de la mémoire de travail. Ils insistent sur le fait que les études qui veulent montrer des liens significatifs entre performances de conduite et démence doivent utiliser ce type d’évaluations cognitives plus complexes et plus précises.