1.3. Inhibition

Enfin, en ce qui concerne la composante d’inhibition, notre hypothèse est également validée : nos résultats sur le vieillissement normal indiquent que les participants âgés ont présenté des temps de réponse plus longs que les participants jeunes dans la condition interférente du test de Stroop, ce qui montre des difficultés dans la capacité à inhiber l’activité automatique de lecture des mots. Les participants âgés n’ont cependant pas présenté d’augmentation du nombre d’erreurs, indiquant que la perturbation de la capacité d’inhibition intervient seulement en termes de ralentissement, mais que les âgés réussissent tout de même à inhiber l’activité automatique de lecture du mot. Ces résultats sont en accord avec les résultats de la littérature, qui indiquent que le vieillissement s’accompagne d’un ralentissement des temps de réponse dans les épreuves nécessitant l’inhibition volontaire d’une réponse automatique, tel que c’est le cas dans le test de Stroop . L’inhibition contrôlée et volontaire est donc perturbée dans le vieillissement cognitif normal.

Les analyses de régression réalisées à partir de cette composante indiquent par ailleurs, qu’il s’agit d’une fonction indépendante des deux autres et que, d’autre part, ce ne sont pas les déficits d’inhibition qui peuvent expliquer les différences de performances entre les jeunes et les âgés sur les deux autres composantes. Dans leur article de référence, Miyake et al. (2000) proposaient deux hypothèses concernant le lien qui unit les fonctions exécutives. (1) Les trois composantes exécutives nécessiteraient la mise en œuvre de processus d’inhibition qui seraient le régulateur des autres composantes exécutives, ou (2) une capacité d’attention contrôlée (attention exécutive) interviendrait à un niveau plus macroscopique et permettrait de maintenir (ou de supprimer) les informations relatives aux buts de la tâche en mémoire de travail. Nos résultats indiquent que dans le vieillissement normal, la capacité d’inhibition est légèrement dégradée, ce qui avait par ailleurs été déjà démontré par d’autres études . Nous avons également montré que la composante de flexibilité est quant à elle, préservée dans le vieillissement cognitif normal. Si la composante d’inhibition devait avoir une influence importante sur les autres composantes exécutives, la flexibilité mentale serait elle aussi dégradée. Nos résultats tendent donc à montrer que cette seconde hypothèse d’une capacité d’attention exécutive générale serait meilleure que l’explication de l’intervention d’un facteur général d’inhibition. Ce résultat n’est cependant pas en désaccord avec la possibilité d’un lien fort entre les composantes exécutives, lien qui a été démontré par Miyake et al. (2000) puis confirmé par des études notamment en imagerie .

Nos résultats suggèrent que le vieillissement cognitif normal entraîne des modifications spécifiques du fonctionnement exécutif, et que les composantes identifiées par Miyake et al. ne subissent pas les effets de ce vieillissement de manière similaire. De plus, les analyses de régression réalisées sur les trois composantes exécutives indiquent que chacune d’entre elles est indépendante des deux autres et que les différences de performances jeunes / âgés ne peuvent pas s’expliquer simplement par un ralentissement de la vitesse de traitement. En effet, l’hypothèse d’un ralentissement généralisé des ressources de traitement est parfois avancée pour expliquer les différences de performances entre jeunes et âgés dans des tâches cognitives . Cependant, cette explication a été remise en cause dans un certains nombres d’études . Nos résultats vont également dans le sens de ces études. Aucune des trois composantes exécutives n’a pu être expliquée significativement par des différences de performances dans la tâche de vitesse d’exécution. Par ailleurs, bien que nous nous soyons focalisés dans cette discussion sur les résultats concernant les trois composantes exécutives, les résultats aux autres tests de la batterie du Grefex apportent également des arguments qui confirment nos hypothèses. En effet, les participants âgés n’ont pas été moins performants que les jeunes aux tests des six éléments ou au test de Brixton, ce qui indique une bonne préservation des capacités de résolution de problème et de déduction de règles. Ce résultat se retrouve aussi dans le WCST : les participants âgés ont des performances similaires à celles des jeunes en ce qui concerne le nombre de catégories réalisées. Cependant, les âgés ont réalisé significativement plus d’erreurs persévératives, ce qui indique de légères difficultés (M = 0.24) dans la capacité à changer de règles mentales.

Ces résultats concernant les évaluations neuropsychologiques sont cependant à mettre en lien, dans le cadre de notre travail de recherche, avec les résultats que nous avons obtenus dans les expérimentations mettant les participants en situation de conduite. En effet, l’objectif de notre travail de recherche était bien de mieux comprendre quelles composantes entrent en jeu dans l’activité de conduite et comment elles peuvent être altérées avec la dégradation du système exécutif. C’est pourquoi nous allons maintenant nous intéresser aux interprétations possibles des résultats concernant les performances des conducteurs âgés par rapport à celles de jeunes dans ces situations.