2.1. Flexibilité mentale

La situation de conduite qui impliquait alternativement le traitement de la forme et de la couleur des panneaux a montré des effets significatifs entre patients et témoins âgés. Les patients sont significativement plus lents que les âgés dans les trois conditions et la variable de flexibilité apparaît significativement dégradée chez les patients. Ces résultats indiquent que notre mesure de la flexibilité en situation de conduite, qui n’apparaissait pas sensible aux effets du vieillissement normal, permet de détecter des troubles de la flexibilité mentale dans les stades débutants de la maladie d'Alzheimer. Les patients ont également réalisé plus d’erreurs persévératives que les conducteurs témoins, ce qui indique que le ralentissement des temps de réponse ne peut pas être expliqué par le développement d’une stratégie de la part des patients, consistant à répondre mieux en répondant moins vite.

Par ailleurs, l’analyse statistique concernant la vitesse du véhicule indique que les patients n’ont pas été capables de conserver une vitesse de conduite stable au cours de l’épreuve. Alors que les contrôles âgés ont même parfois conduit plus vite dans la situation avec alternance, les patients ont significativement réduit leur vitesse pour réaliser cette tâche. Il est intéressant de noter que la différence de vitesse entre patients et contrôles est faible (et non significative) dans la situation sans alternance (∆ = 6.39 km/h), alors qu’elle augmente significativement en condition avec alternance (∆ = 12.99 km/h). Ceci semble indiquer que les patients ont été gênés par la pression temporelle induite par la situation où il fallait alterner entre les côtés droit et gauche de la route. Afin de réduire cette pression temporelle, ils ont choisi de diminuer leur vitesse, ce qui leur laissait plus de temps pour répondre à l’apparition des stimuli. Ce phénomène de réduction de la vitesse entre les conditions n’est cependant pas très élevé chez les patients et il pourrait par ailleurs être expliqué par le fait que la plupart des patients ont relevé systématiquement leur pied de l'accélérateur à chaque apparition d’un panneau dans la condition avec alternance, résultat que nous n’avions pas observé dans la condition simple. En effet, durant toute la durée des expériences, une caméra filmait, entre autres, les pieds du conducteur (cf. partie méthodologique) et c’est grâce à ces enregistrements vidéo que nous avons pu observer ce phénomène de relachement du pied de la pédale d’accélérateur. Ceci leur permettait de réfléchir et d’effectuer le basculement attentionnel pour donner leur réponse. Par ailleurs, le phénomène d’inertie du moteur observé dans le simulateur est différent de celui des véhicules réels et ceci pourrait expliquer que la différence de vitesse observée entre les patients et les témoins ne soit pas très importante. Il est donc tout à fait possible que dans une situation de conduite réelle, le fait de relever très souvent le pied de l’accélérateur aurait entrainé une plus grande variabilité de la vitesse.

Ceci nous laisse suggérer que des situations accidentogènes pourraient être induites par ce phénomène de ralentissement brusque des conducteurs avec des troubles cognitifs, lorsque des informations doivent être traitées alternativement. D’ailleurs, dans une étude récente sur route réelle, Uc et al.ont obtenu des résultats similaires. Ils ont en effet réalisé une étude en conduite réelle qui avait pour but d’évaluer les capacités de détection de panneaux de signalisation disposés à droite et à gauche de la route parmi des distracteurs (panneaux publicitaires). Ils ont comparé un groupe de 33 conducteurs en stade précoce de maladie d'Alzheimer à un groupe de 137 conducteurs âgés sains. Les résultats indiquent que les patients en stade précoce de maladie d'Alzheimer ont significativement moins bien réussi la tâche de détection de panneaux cibles, mais aussi qu’ils ont réalisé plus d’erreurs de conduite pendant la recherche des panneaux. Ceci s’est traduit notamment par des ralentissements et des freinages dans des circonstances inappropriées. Par conséquent, comme cela a été indiqué dans la discussion concernant le vieillissement normal, la détection de déficits de flexibilité, que ce soit chez des adultes sans troubles cognitifs ou chez des patients avec début de maladie d'Alzheimer peut s’avérer très importante dans le cadre de l’évaluation de la compétence de conduite.