2.2. Mise à Jour

L’hypothèse proposée concernant la mise à jour des informations a également été validée, puisque les résultats indiquent que les patients en stade précoce de maladie d'Alzheimer ont des performances significativement dégradée par rapport à celles des contrôles âgés dans la situation de conduite avec la tâche de mémorisation et de mise à jour des panneaux routiers. En effet, dans la situation de conduite où il était nécessaire de mémoriser et de rappeler les trois derniers panneaux de la série, les patients avec maladie d'Alzheimer ont eu des performances dégradées par rapport à celles des âgés. Les participants âgés avaient déjà un score de rappel qui était en dessous de celui des jeunes, mais l’écart entre jeunes et âgés était relativement faible par rapport à l’écart que nous avons observé entre les participants âgés et les patients. En effet, les patients ont rappelé en moyenne 12.5 panneaux sur les 27, ce qui en fait moins de la moitié (SD = 2.07). Les difficultés des patients à mémoriser et mettre à jour les informations en mémoire de travail ont donc été particulièrement importantes dans cette tâche écologique. Ces résultats sont en accord avec ceux obtenus par la mesure neuropsychologique de la mise à jour, mais ils nous apportent un éclairage supplémentaire. En effet, la tâche de n-back nous a permis de mettre en évidence que les patients étaient particulièrement ralentis par rapport aux participants âgés et qu’ils commettaient plus d’erreurs. Cependant, cette tâche informatisée est très peu écologique et nous avons remarqué que les patients ont eu plus de difficultés que les participants âgés à comprendre et à réaliser ce test. Il est donc possible que la dégradation des performances puisse être expliquée par la difficulté à comprendre la tâche. Alors que dans la situation de conduite, la tâche est apparue beaucoup plus simple à réaliser par les patients. Ils ont facilement compris ce qui leur était demandé et en général, une seule phase d’essais était nécessaire. De plus, dans cette tâche les temps de réponse n’ont pas été enregistrés et il n’était pas demandé aux participants de répondre particulièrement rapidement, ce n’est donc pas la pression temporelle qui a entrainé une détérioration des performances. Les difficultés rencontrées par les patients dans cette expérience sont donc seulement liées à la dégradation du système exécutif et en particulier à la détérioration de leur capacité à mettre à jour les informations en mémoire de travail.

Par ailleurs, la consigne donnée à l’ensemble des participants était de respecter la limitation à 90 km/h ou de respecter la signalisation particulière indiquée par les panneaux. Les participants jeunes et âgés ont globalement conduit plus rapidement (en moyenne 103 km/h pour les jeunes et 100 km/h pour les âgés), alors que les patients ont conduit en moyenne à 86.4 km/h. Cependant, cette diminution de la vitesse n’est pas due à un meilleur respect des limitations de vitesse. En effet, tous les participants conduisaient globalement à la même vitesse pendant la succession des panneaux, mais les patients ont tous systématiquement relevé le pied de l’accélérateur lorsque l’expérimentateur annonçait la phase de rappel (il n’y avait plus de panneaux, mais le participant continuait à conduire). Ce résultat évoque celui observé dans l’expérience de flexibilité où les patients ont systématiquement relevé le pied de l’accélérateur à chaque apparition de panneaux. Les patients ralentissent presque systématiquement lorsqu’ils doivent effectuer un traitement cognitif des informations de l’environnement. Il semble donc que les dégradations du système exécutif entraînent chez les patients, même dans des situations très simples, des difficultés pour gérer l’activité de conduite seule et pour traiter simultanément les informations de l’environnement. Pour pallier cette difficulté, ils ralentissent d’une manière qui peut être inadaptée. Ce résultat est particulièrement important, puisqu’il suggère que les conducteurs en stade précoce de maladie d'Alzheimer, bien qu’ils présentent des troubles du fonctionnement exécutif, opèrent des modifications au niveau de leur comportement de conduite pour pouvoir gérer la situation. Cependant, le problème est que ces modifications de comportement peuvent être inadaptées et qu’elles n’interviennent pas forcément au bon niveau. En effet, comme le suggère Brouwer , chez des conducteurs qui présentent des aptitudes physiques ou cognitives diminuées, il y a des possibilités de compensation aux niveaux tactique et startégique (réduction de la vitesse, choix des horaires de conduite…) pour améliorer la gestion de la conduite au niveau opérationnel. Cependant, le ralentissement observé chez les patients intervient de manière saccadée et ne fait pas l’objet d’une régulation globale sur la longueur du trajet dans l’objectif d’une régulation au niveau tactique ; le ralentissement se fait plutôt au dernier moment et uniquement lorsque le conducteur se rend compte qu’il ne pourra pas gérer la situation. Il serait intéressant de réaliser une observation de la conduite en situation réelle afin de vérifier si ce comportement était induit par la conduite sur simulateur ou si ce type de ralentissement intervient aussi lorsque le conducteur doit traiter et mettre à jour de nouvelles informations, ce qui peut être particulièrement dangereux dans certaines conditions de trafic. Des études sur route réelle ont déjà été réalisées et celles de Uc et al. (2005) dont nous avons présenté les résultats plus hauts, indiquaient qu’en situation réelle de conduite les patients en stade précoce de maladie d'Alzheimer réalisaient des ralentissements et des freinages tout à fait inappropriés que les expérimentateurs ont qualifié de dangereux. La même équipe a réalisé une autre étude dans laquelle des conducteurs en stade précoce de maladie d'Alzheimer et des conducteurs âgés sains devaient conduire et trouver leur itinéraire à partir d’instructions écrites. Les résultats indiquent que les patients ont réalisé plus d’erreurs de directions mais surtout qu’ils ont eu une conduite jugée plus dangereuse par les expérimentateurs à cause de freinages inappropriés pendant la recherche de leur itinéraire. Nos résultats sur simulateur permettent donc de montrer que les troubles exécutifs des patients peuvent entrainer des erreurs de conduite dans des situations de conduite qui sont pourtant habituelles, comme la recherche et la mémorisation de panneaux.