2.3. Inhibition

Enfin, la troisième composante que nous avons évaluée chez les patients en stade précoce de maladie d'Alzheimer concernait l’inhibition, dans la situation de conduite avec les barrières de passage à niveaux. Contrairement aux résultats observés dans le vieillissement normal, les résultats obtenus auprès des patients montrent que l’inhibition des informations non pertinentes est sensible aux effets de la dégradation pathologique du fonctionnement cognitif. En effet, les patients ont réalisé significativement plus d’erreurs aux barrières où le message était conflictuel par rapport à la position de la barrière et ce, pour les deux types de messages, c'est-à-dire pour le message « Stop avec barrière ouverte » et pour le « message  Go avec barrière fermée ». Les participants âgés avaient seulement effectué un peu plus d’erreurs aux items « Stop avec barrière ouverte », ce qui nous avait laissé penser qu’ils réalisaient ces erreurs plutôt par excès de prudence pour être sûr de ne pas entrer en collision avec une barrière. Les résultats obtenus par les patients montrent qu’ils ne sont pas capables d’inhiber le message qui leur est présenté et ils ont réalisé plus de collisions avec des barrières fermées, donc il ne s’agit pas, dans ce cas, d’un comportement montrant une prudence exagérée. Les patients semblent se comporter de manière rigide et réagissent spontanément au message, bien que plusieurs essais aient été réalisés auparavant, dans le but de vérifier que la consigne était parfaitement comprise. Par ailleurs, plusieurs patients, qui se sont arrêtés à la barrière ouverte avec message « Stop », refusaient de repartir car le message « Stop » restait affiché à l’écran tant que le participant ne franchissait pas la barrière. Ce comportement est également un signe de rigidité et d’incapacité à inhiber cette information qui n’est pourtant pas pertinente au vu de la situation. Comme cela a été décrit dans la section méthodologique, ce protocole expérimental avait été inspiré d’une étude présentée par Rizzo et al. . Ces auteurs avaient proposé ce protocole à différents groupes de participants, des patients cérébrolésés, des patients en stade précoce de maladie d'Alzheimer et des contrôles et leurs résultats sont cohérents avec ceux que nous avons obtenus. Ils ont en effet montré que les patients présentaient des performances significativement dégradées par rapport à celles des contrôles. Les patients en début de maladie d'Alzheimer présentent donc des déficits à la fois dans la capacité à inhiber une réponse prédominante (Stroop) et des difficultés à inhiber une information non pertinente présente dans l’environnement.

Le modèle de l’inhibition proposé par Hasher, Zacks et May décomposait l’inhibition en trois fonctions, d’accès, de suppression et de restriction. Notre protocole expérimental ne nous a pas permis d’évaluer spécifiquement ces trois fonctions puisque notre but était de décomposer uniquement les trois composantes exécutives. Cependant, le test de Stroop nous a permis d’évaluer la fonction de restriction, qui est atteinte dans la maladie d'Alzheimer et la situation de conduite avec inhibition a permis d’évaluer la fonction d’accès, qui est également atteinte dans la maladie d'Alzheimer. Cette fonction, qui n’apparaissait pas perturbée dans le vieillissement normal, est donc dégradée dès les stades précoces de la maladie d'Alzheimer. Il serait donc intéressant, dans la perspective de recherches futures, de développer un protocole qui permettrait d’évaluer séparément chacune des fonctions d’inhibition. Des applications sur route réelle seraient également intéressantes à développer et nous savons par expérience que ce type de situations où des informations contradictoires sont présentes simultanément dans l’environnement routier existe réellement. Les conducteurs vieillissants, mais aussi les conducteurs distraits, peuvent être sensibles à cette contradiction et rencontrer des difficultés pour gérer ces situations contradictoires ; nous pouvons ainsi citer l’exemple du développement, dans l’agglomération lyonnaise, des intersections avec le tramway, où les barrières peuvent se fermer alors que des feux de signalisation placés juste devant restent au vert, ce qui représente une analogie très proche à la situation que nous avons développée sur simulateur.

En résumé, les trois scénarios de conduite mis au point pour évaluer les trois composantes exécutives montrent donc que les performances des patients en stade précoce de maladie d'Alzheimer sont dégradées. Comme nous l’avons suggéré dans ces discussions, ces dégradations peuvent entrainer des modifications du comportement de conduite chez les patients, qui pourraient les placer en situation de danger. Il était donc important de mettre en évidence ces différents types de déficits. Cela nous a également permis de montrer que les trois composantes interviennent à des niveaux différents de la conduite, mais que les déficits des patients entrainent chez eux des modifications du comportement à d’autres niveaux, comme le fait qu’ils ralentissent souvent de manière inappropriée, et que ces modifications de comportement pourraient être des sources potentielles d’accident.