Conclusions et perspectives

C’est dans un contexte général d’augmentation de la population âgée et d’augmentation du nombre de conducteurs et de conductrices âgés que nous avons réalisé ce travail de recherche. Cette augmentation du nombre de conducteurs âgés mobilise non seulement la communauté scientifique qui cherche à mieux comprendre comment le système cognitif intervient dans cette activité particulière qu’est la conduite automobile et comment il évolue avec l’âge ; mais aussi les pouvoirs publics qui cherchent à évaluer l’impact de ce phénomène sur la société et notamment en termes de sécurité routière.

On sait par ailleurs que l’augmentation du nombre de personnes âgées va de paire avec une augmentation du nombre de personnes atteintes par des pathologies dégénératives. Parmi ces pathologies, la plus fréquente est la maladie d’Alzheimer, qui atteindra bientôt le seuil du million de personnes atteintes en France. Dans les stades précoces de cette maladie, le patient reste indépendant et souhaite préserver le plus longtemps possible son autonomie, ce qui passe notamment par l’utilisation de sa voiture. La communauté scientifique est donc également confrontée à cette problématique de l’augmentation de conducteurs présentant ce type de pathologies qui peuvent avoir un impact sur les aptitudes à conduire. Dans ce contexte général, l’objectif de ce travail de recherche était d’étudier comment les fonctions exécutives évoluent dans le vieillissement cognitif normal ainsi que dans les stades précoces de la maladie d'Alzheimer et d’étudier comment cette évolution du fonctionnement exécutif peut être évaluée dans des situations de conduite.

Dans la première partie de ce travail, nous avons présenté les aspects théoriques concernant le fonctionnement exécutif, son rôle dans l’activité de conduite, puis nous nous sommes intéressés à la littérature concernant l’évolution de ce système dans le vieillissement normal et dans la maladie d'Alzheimer. Nous avons choisi comme cadre conceptuel du fonctionnement exécutif, le modèle proposé par Miyake et al. (2000), qui décomposent le système exécutif en trois sous-composantes de flexibilité, de mise à jour et d’inhibition. Il nous semble en effet que ces trois composantes interviennent de façon importante dans le cadre de l’activité de conduite et nous avons posé comme hypothèse que les difficultés rencontrées par les conducteurs âgés et/ou en stade précoce de démence de type Alzheimer pouvaient être dues à une dégradation du système exécutif et plus particulièrement de ces trois composantes.

A partir d’une évaluation neuropsychologique détaillée de ces trois composantes, nous avons montré que dans le vieillissement normal, les trois composantes exécutives n’évoluent pas de manière identique. En effet, l’une d’entre elle est épargnée dans le début du vieillissement cognitif normal : la flexibilité mentale. Dans les stades précoces de la maladie d’Alzheimer, les trois composantes exécutives évaluées sont apparues dégradées par rapport au vieillissement normal.

Par ailleurs, nous avons mis au point quatre scénarii de conduite sur simulateur de conduite. Trois d’entre eux évaluaient spécifiquement une composante exécutive, le quatrième était une situation plus globale mettant en jeu ces trois composantes. Les résultats indiquent que ces scénarii sur simulateur de conduite étaient tout à fait sensibles et pertinents dans une perspective d’évaluation écologique des déficits exécutifs.

Des améliorations pourraient être apportées à ces scénarii. Nous avons en effet soulevé le problème de la situation de l’inhibition qui, dans le cas du vieillissement normal, n’est pas apparue sensible aux déficits d’inhibition des conducteurs âgés, déficits qui avaient pourtant été montrés dans l’évaluation neuropsychologique. Il serait donc intéressant d’élaborer des situations de conduite qui permettraient de différencier les trois fonctions d’inhibition suggérée par Hasher, Zacks et May (1999). Ceci pourrait permettre de montrer une évolution différentielle des trois fonctions, dans le vieillissement normal et pathologique. Par ailleurs, lors de l’interprétation des résultats concernant la situation de tourne-à-gauche, nous avons suggéré que la notion d’exploration de la scène routière était également un élément important à prendre en compte dans l’évaluation des déficits cognitifs pouvant avoir des répercussions sur la conduite automobile. Dans une perspective d’amélioration de nos scénarios, il serait donc intéressant d’inclure un outil permettant de quantifier cette exploration visuelle et attentionnelle de la scène routière. L’oculométrie pourrait permettre cette mesure quantitative que nous n’avons pas réalisée dans notre travail de recherche.

Bien que l’objectif de notre travail de thèse ne fût pas de proposer un protocole d’évaluation des compétences de conduite, nos résultats pourraient permettre de proposer de nouvelles pistes pour l’amélioration des évaluations existantes. En effet, on sait aujourd’hui que le simple diagnostic de démence ne suffit pas à juger du caractère dangereux de la conduite, et que les évaluations neuropsychologiques sont peu corrélées avec les performances de conduite. Le développement de protocoles sur simulateur présente donc des perspectives intéressantes, notamment si l’on se focalise sur des situations de conduite spécifiques qui impliquent des fonctions cognitives particulières, comme nous l’avons proposé dans ce travail sur l’implication de trois fonctions exécutives.

Par ailleurs, Les perspectives de recherches concernant les évolutions du système cognitif dans les stades de démence plus avancés mais aussi les stades pré-démentiels ainsi que dans le MCI nous semblent importantes à considérer. En effet, les patients que nous avons inclus dans notre étude étaient en stade précoce de maladie d'Alzheimer et étaient encore tout à fait autonomes au moment de leur inclusion dans l’étude. Cependant, la maladie va évoluer de manière certaine et il est important d’être en mesure de proposer bientôt des procédures permettant d’évaluer les compétences de ces conducteurs, dont les capacités cognitives et en particulier les capacités exécutives vont évoluer, et qui vont peut-être devenir des conducteurs dangereux. D’un autre côté, il serait également intéressant de prolonger les efforts de recherche en ce qui concerne les stades dits prédémentiels, pour lesquels l’autonomie du patient n’est pas encore remise en cause. Pour ces patients, il serait intéressant de pouvoir proposer des programmes d’évaluation de la compétence de conduite dans le but de pouvoir développer ensuite des programmes de réadaptation de la conduite. En effet, bien que cette évaluation des aptitudes à la conduite soit nécessaire, la notion de réadaptation nous semble également particulièrement importante à considérer pour les recherches futures. En ce qui concerne les conducteurs présentant une pathologie dégénérative, deux types de réadaptation pourraient être développés. D’une part, les patients en stade prédémentiels pourraient être pris en charge et les entrainements pourraient leur permettre de maintenir leurs compétences de conduite à un bon niveau pendant un temps prolongé. D’autre part, pour les patients qui présentent déjà des difficultés de conduite, la réadaptation pourrait leur permettre d’améliorer leurs compétences et de retrouver certaines compétence et habitudes de conduite perdues.

Par ailleurs, l’arrêt de la conduite suite à une évaluation négative peut s’avérer très difficile à vivre pour les patients qui présentent des troubles neurologiques. Dans notre étude nous nous sommes focalisés sur une pathologie dégénérative, mais certaines pathologies qui touchent le système exécutif peuvent intervenir chez des personnes jeunes pour qui l’autonomie est encore plus importante à retrouver pour une bonne insertion. C’est le cas notamment des patients cérébrolésés, ou des patients traumatisés crâniens. Pour ces patients, la réadaptation à la conduite est extrêmement importante puisqu’elle va permettre aux patients de retrouver leur autonomie. Dans ce cadre, le développement d’outils sur simulateur de conduite pourrait être un moyen de proposer une bonne réadaptation de la conduite car, après une évaluation précise des fonctions cognitives atteintes, les équipes de réadaptation pourront mettre l’accent sur des scénarios de réadaptation mettant en jeu ces fonctions cognitives précises. Pour pouvoir permettre cette réadaptation « à la carte », il faut cependant être en mesure de décomposer précisément le rôle spécifique de ces fonctions cognitives. Notre travail de recherche apporte des éléments de réponse importants à ce problème et pourrait être approfondis sur d’autres fonctions cognitives par exemple, ou vers une adaptation des scénarios sur route réelle.

Enfin, dans une perspective tout à fait différente d’introduction de systèmes d’aides à la conduite, notre travail de recherche présente également des aspects importants. En effet, si l’on veut développer des systèmes d’assistance à la conduite qui soient pertinents et utilisables par cette catégorie particulière de conducteurs, il faudra tenir compte à la fois de ces changements cognitifs et aussi de leurs différences individuelles dans l’utilisation des nouvelles technologies. Dans le cadre de ce travail, nous avons par exemple montré que les conducteurs âgés présentaient déjà certaines difficultés en situation de conduite lorsqu’il s’agissait de mettre à jour des informations disponibles dans l’environnement routier. Comme nous l’avons évoqué dans la discussion de nos résultats, ces difficultés de mise à jour des informations routières peuvent perturber l’adaptation du comportement du conducteur dans des situations particulières et donc entrainer une augmentation du risque d’accident. Cette difficulté de mise à jour des informations pourrait ainsi être compensée par un outil d’aide à la conduite qui prendrait le relais pour le stockage et le maintien des informations importantes et les restituerait au conducteur au moment où il doit mettre à jour ces informations. De tels systèmes doivent bien entendus être développés et testés afin d’étudier si leur utilisation serait un réel apport pour le conducteur ou serait un nouvel élément de distraction pour des conducteurs qui peuvent déjà présenter des difficultés de contrôle attentionnel.