4.3 Troisième étapes : état actuel

La diffusion satellitaire dans le monde arabe connaît actuellement une profusion considérable basée sur des intentions bien précises ; de plus, elle vise un public bien déterminé, trop longtemps resté enfermé sur lui-même, maintenu par des pouvoirs qui refusaient toute intrusion étrangère. Puis, subitement et sans prévenir, un revirement total de la situation a vu le jour et des chaînes satellitaires étrangères ont commencé à envahir le monde arabe. Les premiers à subir cette invasion étaient, comme nous l’avons déjà mentionné, les pays situés au nord du Maghreb et de l’Afrique qui ont commencé à capter les chaînes françaises et italiennes. Puis l’Égypte, se retrouvait à recevoir les chaînes italiennes et israéliennes, alors qu’en Syrie et au Liban, la diffusion turque avait pris le dessus sur les chaînes locales.

Selon une étude établie par l’union des radios arabes, il existe 47 institutions84 arabes publiques et privées qui diffusent des chaînes par satellite, dont 27 sont privées85. 140 chaînes satellitaires sont dénombrées dont 75 diffusent des programmes variés ; les autres sont spécialisées (enfants : 6, sport : 6, Informations : 12, Cinéma : 12, Variétés : 12, Publicité et films documentaires : 6, culture et éducation : 13) 86.Ces réseaux de diffusion couvrent essentiellement le monde arabe87 mais beaucoup touchent également des régions de l’Europe, de l’Amérique, de l’Australie, de l’Afrique, de l’Amérique Latine et de l’Asie, utilisant pour cela des satellites dont ARABSAT , NILESAT , EUTELSAT II F3 , EUTELSAT HOTBIRD 2 , INTELSAT 703,705, PANAMSAT PAS 4-2-3-4.

Pour ce qui est de la langue de diffusion, il est clair que la principale est l’arabe, car elle est la langue dominante, ce qui n’empêche pas certaines chaînes d’utiliser le français, l’anglais ou l’espagnol pour certains programmes (chaîne satellitaire syrienne, Nile égyptienne)88.

La diffusion numérique par satellite a entraîné, dans la plupart des cas, une profusion de l’offre des programmes, un effritement des monopoles des télévisions publiques ainsi qu’une concurrence vive entre télévisions publiques, télévisions régionales panarabes et télévisions internationales de conception occidentale.

L’arrivée des chaînes internationales dans le paysage audiovisuel des États arabes ne s’est pas faite sans troubles. En effet, encore aujourd’hui, les producteurs, politiques et professionnels, sont inquiets et restent souvent sans réponses. Sur le plan de l’information, le monde arabe est de plus en plus envahi par des programmes diversifiés contenant des informations variées, en général plus crédibles que celles diffusées par les télévisions d’État, d’ailleurs souvent boudées par les téléspectateurs arabes. Aujourd’hui, son refuge est Al Jazzera pour l’information et les chaînes occidentales ou égyptienne pour le divertissement.

Sur le plan culturel, pour une grande partie des programmes diffusés, le téléspectateur arabe ne connaîtra pas — excepté dans le domaine de l’information — un grand bouleversement. Le caractère planétaire des feuilletons et des films essentiellement occidentaux, sud-américains et égyptiens était déjà présent sur les écrans nationaux.

Pour ce qui est de la production ou de la programmation au niveau de ces chaînes, il s’est avéré, selon des statistiques, que la plupart des programmes sont des productions locales, c'est-à-dire entre 30 et 100%, ce qui n’empêche pas de faire appel à des productions arabes importées- entre 0,3 et 60% - ou étrangères – entre 1 et 60%. Ces statistiques prouvent en réalité, l’incapacité pour ces chaînes de fournir de bonnes productions, puisqu’elles diffusent souvent, des programmes qui sont pour la plupart inintéressants ou dépourvus d’actualité. 89

Par ailleurs, en dépit de leur monopole encore préservé, les chaînes de télévisions nationales arabes ne sont plus les seules à diffuser des programmes. D’autres opérateurs le font par l’intermédiaire du satellite, avec même des traductions simultanées en arabe.

L'internationalisation des productions culturelles et électroniques s'est accrue avec une nette domination occidentale. Les grandes chaînes mondiales engagées dans des fusions transfrontalières diversifient leur stratégie en vue de contrôler tous les secteurs de la production des images à leur diffusion dans le monde. Sur le plan de l'audience, le réseau CNN (AOL-Time Warner), spécialisé dans l'information continue et mondialisée, décline 16 chaînes thématiques diffusées dans 212 pays et compte quelque 150 millions de téléspectateurs. Le bilan est aussi rude dans le domaine de la production télévisuelle.

C’est pourquoi, les productions audiovisuelles arabes qui expriment les identités populaires ou nationales sont confrontées à un combat inégal. Elles se trouvent concurrencées par des produits de masse distribués par des réseaux de communication planétaires et ne disposent pas d’outils nécessaires pour faire face aux pressions de l’industrialisation des produits culturels et de loisirs.

C’est ainsi que la production locale se trouve fragilisée, voire écartée parce que d’une part, elle n’est plus conforme aux normes de la production marchande internationale et d’autre part, elle n’est plus soutenue par les financements publics. Cette situation de démission soulève le problème de la place, du rôle et de l’avenir du service public considéré comme un outil privilégié de production non marchande et un espace d’expression des identités collectives, linguistiques et culturelles. Quant au taux de diffusion annuel, il est arrivé à 800 000 heures90, ce qui classe le monde arabe en cinquième position mondiale dans ce domaine.

Le graphique ci-dessous montre l’écart important de diffusion entre le nord et le sud, entre l’Europe et l’Amérique d’une part, et le monde arabe d’autre part. Cet intervalle montre qu’actuellement, il est impossible de rapprocher les continents, tout au moins sur ce plan, étant donné que, à titre d’exemple, le taux atteint par l’Europe est quatre fois supérieur à celui du monde arabe et vingt-deux fois supérieur à celui de l’Afrique91.

[G- n°5 Superficie de diffusion par continent]
[G- n°5 Superficie de diffusion par continent]

Face à cette problématique, il serait judicieux de se demander ce qu’ont fait les gouvernements arabes pour palier à ces lacunes. Ont-ils établi des lois spécifiques qui régiraient la communication, à commencer par l’appropriation de nouvelles technologies de diffusion satellitaire ou n’ont-ils rien fait en ce sens ?

La plupart des pays arabes, n’ont rien fait sur le plan légal pour le développement relatif au domaine de la diffusion par satellite92, qui reste très en deçà du progrès requis ailleurs. Actuellement, vu les progrès très avancés et l’utilisation des antennes paraboliques individuelles, il est possible à tout un chacun de recevoir les chaînes et les programmes désirés sans avoir recours à quelque intermédiaire que ce soit.

Concernant la réception privée, selon les pays, la législation est totalement libre, imprécise, voire absente ou restrictive. Paradoxalement, ces bouleversements technologiques n’ont pas favorisé, d’une manière générale, une plus grande liberté des médias nationaux, même si des chaînes privées apparaissent dans de nombreux pays.

En 1996, une estimation annonce les chiffres suivants : « près de 30 millions de foyers équipés de téléviseurs », et ainsi les pays arabes constituent un « un parc de réception satellites de 5 millions de paraboles  »93. De ce fait, la réception par satellite est devenue l’outil le plus prisé dans le monde arabe qui représente alors, un des plus grands marchés pour les opérateurs locaux, régionaux et internationaux94.

Il est quand même difficile de chiffrer de manière précise le nombre de téléspectateurs qui utilisent la réception par satellite et comme le déclarait, Jon Alterman, directeur du programme pour le Proche-Orient au centre d’Etudes stratégiques et internationales américain (CSIS), en 2001, lors d’un entretien accordé au journal turc Sabah95 : « on ne sait pas exactement combien de personnes regardent les chaînes satellites, qui sont ces personnes et ce qu’elles regardent », cette situation est la même aujourd’hui.

La télévision par satellite, devenu aujourd’hui un « phénomène » à étudier, beaucoup d’institutions, de centres de recherches et d’instituts se penchent sur la question et tentent d’analyser toutes les données de ce phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur, dans le monde arabe mais aussi dans tout le reste du monde.

Notes
84.

Description de l’état actuel de la diffusion par satellite dans le monde arabe, selon l’archive de l’Union des Radios Arabes (ASBU), 15/05/2005. www.asbu.net

85.

Voir annexe n°3 tableau n° 1 qui représente toutes les chaînes étatiques et la qualité des programmes diffusés, tandis que le tableau n° 2, représente les chaînes privées et les programmes diffusés à leur public.

86.

Description de l’état actuel de la diffusion par satellite dans le monde arabe, selon l’archive de l’Union des Radios Arabes (ASBU), 15/05/2005. www.asbu.net

87.

Voir dans l’annexe n°3 le tableau n° 3 qui montre en détail la couverture géographique détaillée de ces chaînes satellitaires ainsi que les satellites utilisés par chacun de ses propriétaires.

88.

Le tableau n° 4 dans l’annexe n° 3 montre la langue utilisée par chacun des satellites publics ou privés.

89.

Le tableau n° 5 montre le taux de production de ces chaînes publiques et privées se trouve dans l’annexe n°3.

90.

EL KHATIB Kamel, la diffusion par satellite arabe atteint 800 000 heures par an, publications du site du journal saoudien El watan, 22/01/2004. www.alwatan.com.sa

91.

Ibid.

92.

Description de la situation de la diffusion par satellite arabe, selon le site de l’Union des Radios Arabes, 15/05/2005. http://www.asbu.org.tn.

93.

MAHERZI Lotfi, Rapport mondial sur la communication , les média face aux défis des nouvelles technologies, Paris, édition de l’UNESCO, 1997, p. 203.

94.

Site de la société El Bayan de journalisme, impression et édition,  décomposition des dangers moraux l’un après l’autre, n°63701/08/2003.www.albayan.co.ae

95.

BAYRAMOGLU Ali, Al-Jazira, vecteur d’une globalisation islamique, Sabah, Istanbul, 09/10/2001. http://www.medea.be/index.html?page=0&lang=fr&idx=0&doc=1380