6.2.3 Position d’interaction

Ce qui caractérise le plus les partisans de ce courant, c’est leur vision globale et leur analyse objective des changements que subit la société arabe comme toute autre société dans le monde et ce, grâce au changement dans la totalité des domaines de la vie de l’être humain, surtout dans celui de l’information.

Ce courant prône le dialogue avec l’autre dans les domaines politique, culturel et social et pense « qu’on ne gagnerait jamais rien en criant à chaque fois au complot- même si parfois c’est le cas- mais qu’on devrait écouter dire l’autre et ouvrir avec lui un débat patient de longue haleine et non passionnel, afin que notre enfermement ne puisse le pousser à avoir des idées imaginaires ou des préjugés à notre égard ou à croire des rumeurs que font courir des fauteurs de troubles »124.

Les adeptes de ce courant estiment que si les arabes accusent un retard technique, leur civilisation n’est pas sans valeur et elle leur permet de combler ce manque en conciliant leurs valeurs avec les nouveautés technologiques venues de l’extérieur125. Parmi les axes de pensée de ce courant, citons les idées principales :

Tout d’abord, les échanges entre les cultures est un sujet objectif que nul ne peut nier, incluant le domaine médiatique. Ce dernier reflète à son tour les échanges commerciaux ou économiques en général ; néanmoins, l’on ne peut ignorer pour autant le fait que cet échange n’est pas soumis dans sa totalité à la règle de la raison, mais qu’il dépend de la balance des forces politico-économiques.

C’est pour cette raison qu’il faut distinguer la dépendance de l’échange, car la différence entre les deux est le résultat même de la nature des relations entre les cultures.

En effet, un échange requiert un minimum d’équilibre entre deux cultures, en l’absence de cet équilibre, l’échange devient une dépendance126, pour cela, certains appellent à l’adaptation des nouvelles technologies aux spécificités de chaque société.

L’Unesco127 a défini l’identité culturelle comme  étant « non pas un patrimoine inerte mais une dynamique interne et une création continue par la société à travers ces propres moyens alimentée par la diversité existant d’une façon intelligente et volontaire acceptant le changement venu de l’extérieur en le contenant et le transformant si c’est nécessaire, et elle n’est pas une forme d’enfermement sur soi, au contraire elle est un facteur identitaire vivant et originel dans un continuel renouveau» 128 .

Cela a incité toutes les organisations internationales et surtout l’Unesco, à préserver les identités culturelles des sociétés, des dangers que pourraient constituer les progrès technologiques incessants des moyens de communication et de l’information et l'UNESCO a une responsabilité majeure à cet égard.

Afin d’insister sur la nécessité d’une meilleure exploitation des nouvelles technologies dans l’information et la culture, le conseil de la 161ème session s’est déroulé à Paris, le 17mai 2001. Le thème portait sur de l’impossibilité d’employer les nouvelles technologies au service des développements éducatif, scientifique et culturel et sur la construction d’une société de savoir. Cette suggestion a été adoptée dans le projet de la stratégie à moyen terme de l’UNESCO (2002/2007).

Il est important de faire face au défit que pose le progrès en mettant toujours l’accent sur l’emploi sain et objectif de ces moyens et des capacités qu’elles offrent afin de diversifier les cultures et de les protéger. Le document de l’Unesco a montré le lien entre la culture, l’identité culturelle et les technologies de l’information et de la communication ainsi que sa capacité à dynamiser les échanges culturels et scientifiques. On pouvait notamment lire dans ce document129 :

  1. Les TIC offrent d'immenses possibilités en ce qui concerne la protection de la diversité linguistique et culturelle, l'encouragement du pluralisme, la promotion du dialogue interculturel et la stimulation de la création artistique. Elles offrent aussi d'énormes possibilités en ce qui concerne la promotion et le partage du patrimoine culturel matériel et immatériel. La disponibilité en ligne ou hors ligne de produits, de contenus et de services culturels de toutes sortes donnerait à tous un accès illimité à la culture du monde dans toute sa diversité.
  2. Les évolutions du monde contemporain ont des répercussions sur toutes les cultures. La mondialisation est un puissant moyen de rapprocher les peuples, mais elle ne doit pas déboucher sur l'uniformité culturelle ou l'hégémonie d'une ou de plusieurs cultures. Elle ne doit pas non plus encourager la fragmentation ou une mentalité de "ghetto". Elle doit au contraire encourager le pluralisme en vue du dialogue et de l'enrichissement mutuel. D'où la nécessité d'une action concrète pour préserver le patrimoine mondial, matériel et immatériel, promouvoir la diversité linguistique et garantir l'équité et l'équilibre dans la circulation internationale des biens culturelsIbid. Articles 11, 12,13..
  3. La protection de la diversité requiert la reconnaissance du statut particulier des biens et des services culturels. Les entreprises culturelles et les industries de la création sont des agents privilégiés de la créativité et des sources de plus en plus importantes d'emplois et de création de richesses. Elles portent en elles la source du dynamisme social et économique qui enrichit la vie humaine. Pour rééquilibrer les échanges culturels passant par des produits et des services, surtout dans un environnement numérique, il faudrait créer aux niveaux mondial et régional des partenariats innovants qui favoriseraient les productions culturelles endogènes et renforceraient les capacités nationales.

L’Unesco estime que cela se réalisera à travers une série de mesures qui garantissent, en cas d’application, le fruit attendu de cette technologie dans tous les domaines, surtout ceux de l’éducation, de la culture et de la communication. Elle souhaite également que se réalise l’égalité et la justice entre tous les pays et toutes les cultures du monde ; elle y espère parvenir grâce aux mesures définies ci-après : 131

Viennent ensuite d’autres points essentiels mais que nous ne détaillerons pas autant que ce dernier :

a. Actuellement, le monde arabe fait face à une situation semblable à celle d’il y a un siècle, et se trouve devant une révolution liée cette fois à l’information et la communication alors qu’avant, il faisait face au problème du colonialisme et de son expansion132.

b. La révolution actuelle de l’information fait partie d’une révolution industrielle globale et le lien qui les unit montre que cet énorme progrès communicatif a puisé son histoire et ses racines dans tous les domaines de la vie.

c. Cette révolution a permis de transposer les médias de leur aspect communicatif vers un aspect alternatif, c’est à dire de ne plus se contenter des intermédiaires médiatiques de la communication ; elle les a cependant transformés en un moyen permettant à l’individu de se cultiver, de se divertir et même de participer à l’élaboration du message médiatique par le biais des sondages d’opinions, des programmes de débats etc. Ceci permet donc de constater que le média est finalement sorti de son isolement le plus enfermant et est devenu plus proche et plus sensible aux changements quotidiens liés à l’individu et à la société. Ces réalités sont restées longtemps absentes du paysage médiatique arabe pour une raison simple : son caractère officiel, autrement dit, le fait d’être possédé par l’État qui en a fait le porte-parole de sa façon de voir les choses, en même temps que l’individu est resté un projet en attente. La problématique complexe observée aujourd’hui consiste à la recherche dans l’existence de la réception médiatique arabe. En effet, les médias arabes dans leur majorité vivent une soustraction progressive et grandissante du cadre de l’état, de l’entreprise officielle vers l’entreprise privée, ce qui fait que la privatisation des médias devient une chose inévitable et que la culture du divertissement est devenue l’unique voie d’accès à la société de la pauvreté, de l’illettrisme et de la dictature133.

d. La révolution communicative que nous vivons aujourd’hui ne se contente pas uniquement de chercher à créer et à réaliser un modèle central qui s’appuie sur la force du discours médiatique que génère, d’un côté cette révolution et de l’autre, cette haute technologie ; son principal but est d’effacer les identités car elle voit dans les cultures locales qui lui sont différentes, un obstacle pour le progrès et pour l’échange mondial dans les domaines culturel, intellectuel, économique … etc. Pour réaliser ces objectifs, il faut les combattre. Dans le colloque de Casablanca qui s’est déroulé entre le 14 et le 16 février 1997, le représentant des États-Unis a déclaré que rattraper le train de la mondialisation n’était plus un choix mais une nécessité, car la mondialisation n’est qu’un aspect de la généralisation de la culture par la force des médias, c’est à dire avec une nouvelle forme de violence, celle du symbole134.

e. Devant les nouvelles données internationales que vit le monde actuel, surtout dans la communication et sa répercussion sur les sociétés, il ne suffira pas d’adopter le slogan du droit à la différence ; les questions importantes dont il reste à en chercher les réponses, sont : comment exprimer cette différence ? quels sont les meilleurs moyens pour la préserver et la dynamiser pour qu’elle soit au service des cultures mondiales ?

f. Les partisans de la position interactive dans l’ensemble de leurs courants constatent que la relation que subit le développement, passe d’une relation de communication à une relation de dépendance et d’une relation de symbiose à une relation d’échanges dangereux, surtout lorsque la culture devient un moyen pour certains courants culturelset intellectuels qui l’emploient, de parvenir à des fins d’expansionnisme et de domination, tout en excluant les autres cultures.

g. Est-il vrai que la progression américaine menace la civilisation européenne chrétienne aux mêmes degrés que pour la civilisation Arabo - Musulmane ? Certes, l’Europe (et la France en particulier) résiste à la mondialisation et à l’américanisation mais cette résistance n’est principalement qu’économique, donc ; elle n’est autre qu’une manière de concurrence.

h. Dans l’état actuel des choses, grâce aux avancées technologiques et à la révolution de la société de l’information, la théorie du complot et de la conquête culturelle est devenue très floue. En effet, cette théorie, comme disent les prêcheurs de la position de l’interaction, renforce la position de l’autre et affaiblie l’importance du « soi ». Cela conduit très souvent à dissimuler le dysfonctionnement qui existe dans la structure interne des problématiques existant au sein d’une même société. Pour comprendre cet état sans contrarier ses problématiques, il est important d’insister sur deux points essentiels ; l’un étant le facteur extérieur, à savoir l’avancée technologique venue du monde occidental, surtout des États-Unis ; l’autre provenant des médias arabes sous développés, incapables d’assumer leur responsabilités envers leur société, instables à l’intérieur et contribuant à l’éloignement l’environnement arabe du reste du monde, en l’affaiblissant. Cela a renforcé la thèse pessimiste selon laquelle le monde arabe se trouve en état d’hibernation historique, inertie qui favorise la nouvelle forme de colonisation qui est la motivation réelle du monde occidental.

i. Lorsque le problème de la dépendance et de la relation avec l’autre s’est posé dans l’histoire du Moyen Age, les arabes occupaient une place forte et leur culture était au premier rang des cultures mondiales. Le problème de l’époque était de tirer profit d’un patrimoine culturel presque non utilisé (celui de la Grèce). Aujourd’hui, le monde arabe se trouve devant une multitude de patrimoines et devant un dilemme : le besoin de bénéficier des autres cultures et en même temps, de se protéger de leurs méfaits135.

j. Un pays arabe ne peut, seul, faire face aux défis de la diffusion satellite étrangère. C’est pourquoi il leur est indispensable de s’entraider et de s’organiser pour préserver leur identité avec toutes les spécificités régionales qu’elle contient, ce qui oblige la culture arabe à se débarrasser de sa dépendance envers les régimes politiques qui ont renforcé la division culturelle et intellectuelle, afin de maintenir leur domination sur les différentes catégories de chaque société. Pour ce faire, ceux-ci ont éloigné toutes les références intellectuelles et ont persuadé les gens qu’ils vivaient en contradiction. Pour cette raison, le changement venu d’ailleurs vise non seulement le système médiatique mais également la totalité du quotidien arabe.

Les problématiques que pose la nouvelle technologie de la communication satellite sont :

k. Le progrès technologique a créé des cultures mondiales nouvelles avec des stratégies spéciales : « la dépendance a laissé place à l’infiltration et donc la dépendance consacre la culture de l’infiltration »137, affirme Mohamed Abed EL DJABIRI. De plus la consécration de la culture simpliste de consommation «sous le prétexte de dépasser la culture de l’élite de la société et l’intérêt porté à la culture populaire, en a fait les louanges de la culture consommatrice de casser le monopole du savoir et le droit des populations à la culture simplifiée mais en réalité, ça n’était qu’une transformation de la culture en une sorte de marchandise populaire »138. Il en résulte que cette culture dépend de la loi du marché, de l’offre et de la demande, ce qui prive la matière culturelle et communicative de sa vraie valeur.

l. la possibilité de la réussite du développement de communication arabe dépend d’un ensemble de facteurs :

Notes
124.

AL HADJILANE Djamel,  comment les arabes affrontent ils les médias occidentaux de façon raisonnée ?,  al balagh électronic,

www.balagh.com/islam/6v10bzgv.htm.

125.

EL KHATIB Omar Ibrahim, Technologie et civilisation , point de vue arabe , revue des affaires arabes, n°32, octobre 1983, p 172.

126.

GHALIOUN, Bourhan,  le développement culturel arabe , entre dépendance et enfermement , revue de l’union, n°92, 1992, p 13, d’après KHADOUR Adib, études sur la télévision, p 45.

127.

KHADOUR Adib,  Études télévisuelles, Bibliothèque de l’informatique, Damas, Syrie, 1998, p 45.

128.

UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, Les nouvelles technologies de l’information et de la communication pour le développement de l’éducation, de la science et de la culture , (161EX/INF.12),PARIS, le 17 mai 2001, Original anglais, Point 9.5 de l’ordre du jour provisoire. Article 21.

129.

Ibid. Article 15.

131.

KHADOUR Adib,  Études télévisuelles, Bibliothèque de l’informatique, Damas, Syrie, 1998, p 44.

132.

ABD MUSLIM Tahar, Lecture plurielle, crise unique : l’information arabe vit des transformations à l’aire des crises, site de la revue électronique zaman, n°1548, 5/7/2003.

133.

KHADOUR Adib,  Études télévisuelles, Bibliothèque de l’informatique, Damas, Syrie, 1998, p 44.

134.

REDJOUANI Abdel nabi,  l’information et la sécurité culturelle , conférence de Rabat, 19/7/1994, El moustakbel el arabi (l’avenir arabe).

135.

YACINE Bou Ali,  Rôle de l’adaptation des significations dans la dépendance intellectuelle, revue de l’union arabe, n°92, 1992, p 22.

136.

Selon le communiqué de l’organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, (UNESCO),1972, qui insiste sur la nécessité de respecter les lois et réglementations qui régissent les émissions radiophoniques et télévisuelles émises par les différentes chaînes et sur la non implication dans les affaires intérieures des pays avec possibilité de communicationentre les satellites et surtout sauvegarde des droits du public, précision des informations et respect du cadre global de chaque culture.

137.

ABED EL DJABIRI Mohamed,  Le problème culturel, publications de la série la culture populaire, n°25, problèmes de l’intellect arabe, centre des études de l’Union Arabe, Beyrouth, Liban, 1994, p171.

138.

MESSAOUD Dahir,  La culture arabe à l’affront des changements internationaux du moment, l’intellect moderne arabe, N°100-101, 1993, p56, d’après, ABDALLAH SANOU May,  les arabes à l’affront du développement technologique de l’information et de la communication , revue arabe : l’avenir, n°230,1998, pp 32-46.

139.

BELKAZIZ Abdallah, sujet abordé lors de la conférence de Rabat sur,  l’information et la sécurité culturelle , Rabat, Maroc 19/07/1994.