0.5.2. L’hypothèse d’une somme de déficits

Cette hypothèse permet d’expliquer à la fois la différence entre les enfants normaux et les enfants Asperger et entre les enfants Asperger d’une part et les enfants autistes et SLI de l’autre.

La première possibilité permet d’expliquer la différence entre les enfants normaux et les enfants Asperger. En effet, les Asperger, tout comme le reste de la population du syndrome autistique, souffrent d’un déficit en théorie de l’esprit (ToM) (Baron-Cohen et al, 1985 ; Baron-Cohen, 1995 ; Gillot, Furnish & Walter, 2004). La théorie de l’esprit est la capacité à interpréter et à prédire le comportement d’une autre personne sur la base des états mentaux (pensée, croyance, désir, intention etc.) qu’on lui prête. Elle semble universelle chez l’espèce humaine et son décours développemental est le même dans toutes les cultures étudiées. Des études expérimentales montrent que cette capacité est maîtrisée par les enfants normaux vers l’âge de 4 ans(Wimmer et Perner, 1993). Elle reste cependant très déficitaire, voire inexistante chez la population autistique, même à l’âge adulte. Ce déficit en théorie de l’esprit (ici pris dans son ensemble, mais il faut plutôt envisager le déficit au niveau des précurseur de la ToM à savoir, ID, EDD et SAM, voir 1.3.1) les empêche d’utiliser les indices sociaux – en particulier la détection de l’intention du locuteur, comme le précise la théorie sociale-pragmatique – afin d’acquérir du lexique. Le délai entre les premiers mots et les premières combinaisons, supérieur chez les enfants Asperger que chez les enfants DT, s’expliquerait par le fait que les enfants Asperger, à cause de ce déficit en théorie de l’esprit, mettraient plus de temps pour acquérir la taille de vocabulaire lexical nécessaire au déclenchement de l’apprentissage de la grammaire et de la morphologie.

Dans un second temps, on peut expliquer la différence entre les enfants Asperger et les enfants atteints de SLI par le fait que les enfants SLI souffrent d’un déficit spécifique au langage qui aurait des conséquences plus graves sur l’acquisition du langage que le simple déficit en théorie de l’esprit des enfants Asperger. On peut ensuite expliquer la différence entre les enfants autistes et les enfants SLI d’une part, puis entre les enfants autistes et les enfants Asperger d’autre part, par la combinaison d’un déficit en théorie de l’esprit et d’un déficit spécifique au langage. Enfin, l’existence de la dernière population – les autistes non-verbaux – peut s’expliquer soit par la même combinaison de déficit (théorie de l’esprit et SLI) que les enfants autistes verbaux mais avec une plus grande sévérité, soit par l’existence d’un déficit supplémentaire comme par exemple, l’agnosie verbale auditive (Rapin, 1997). L’agnosie verbale auditive se caractérise pour la population normale par une incompréhension du langage parlé en l’absence de surdité alors que la production linguistique, la lecture et l’écriture sont normales5.

Notes
5.

Cette hypothèse, proposée par Rapin 1997, souffre cependant d’une incohérence : l’agnosie verbale intervient normalement à la suite d’une atteinte cérébrale chez adultes qui ont déjà un niveau de langage normal.