Intéressons nous à la deuxième hypothèse. Il ne fait aucun doute que les Asperger souffrent d’un déficit en théorie de l’esprit ou que les patients SLI souffrent d’un déficit spécifique du langage. Les deux points problématiques et qui méritent donc tests, sont le fait que les autistes verbaux souffrent à la fois d’un déficit en théorie de l’esprit et d’un SLI ; et que les autistes non-verbaux souffrent d’une agnosie verbale auditive en plus de ces deux premiers déficits. Pour commencer, par ce dernier point, il est important de rappeler que l’agnosie verbale auditive se caractérise par une incompréhension du langage parlé en l’absence de surdité alors que la production linguistique, la lecture et l’écriture sont normales. Il est vrai que les enfants autistes non-verbaux ne remplissent pas les trois derniers critères, mais il est possible de supposer que l’agnosie est présente dès le départ, et interdit, de ce fait, tout accès au langage et toute acquisition. Cependant, il faut noter que l’agnosie verbale auditive est une condition rare, généralement acquise à la suite d’une atteinte cérébrale quelconque qui touche l’hémisphère gauche. Il semble difficile de penser que tous les enfants autistes non-verbaux en soient atteints. Cette idée semble plus probable dans les cas où le développement de l’enfant paraissait normal jusqu’à environ deux ans, et où, tout à coup, le langage, le comportement social et le jeu ont commencé à régresser. Néanmoins, il reste difficile de reconnaître une agnosie verbale auditive chez un enfant autiste non-verbal. Il faudrait pour cela interroger les parents afin de savoir si des capacités de l’enfant qui sont apparues lors de la très jeune enfance, ont subi une régression forte et subite avant l’âge de deux ans. Mais cela ne constituerait qu’un indice et en aucun cas une certitude. Ce point, par ailleurs relativement marginal, reste donc difficile à tester et nous ne le poursuivrons donc pas ici : nous nous en tiendrons à l’acquisition linguistique chez les enfants autistes.
Le second point selon lequel les enfants autistes verbaux auraient un déficit en théorie de l’esprit auquel se combinerait un SLI est plus facilement testable. Il est nécessaire de rappeler que d’après l’étude de Howlin (2003), les autistes adultes ont des capacités linguistiques qui restent inférieures à celles d’adultes normaux et bien qu’une partie de la population SLI continue à montrer des troubles du langage à l’âge adulte (Leonard, 1998), il ne semble pas que ces déficits soient de même nature chez ces deux populations. En effet, bien que le niveau de langage des adultes autistes reste inférieur à celui d’adultes normaux, il ne présente pas d’anomalies au niveau de la syntaxe et de la morphologie. Les déficits se concentreraient davantage sur le vocabulaire, l’expression et la compréhension que sur la production syntaxique. Ceci sépare les individus autistes des individus atteints d’un déficit spécifique au langage, mais normaux par ailleurs, qui conservent des difficultés au niveau de la syntaxe et de la morphologie à l’âge adulte.
On ne peut pas écarter pour autant l’idée qu’un SLI se combinerait au déficit en théorie de l’esprit chez certains autistes verbaux, à partir des différences de performances des individus autistes et SLI à l’âge adulte. C’est pour cette raison que nous pensons qu’une comparaison de corpus entre enfants autistes, normaux et SLI au même stade d’acquisition, évalué relativement à leur longueur moyenne d’énoncés (MLU7), est nécessaire afin de répondre à cette question. Si certains enfants autistes souffrent effectivement d’un SLI, il serait logique de trouver des anomalies similaires à celles d’enfants SLI dans leur production langagière, et ceci comparativement aux productions d’enfants normaux. Si ce n’est pas le cas, on peut s’attendre à ce que les productions des enfants autistes se rapprochent de celles des enfants normaux et se différencient ainsi de celles des enfants SLI ; ou, ce qui paraît plus probable, que les productions linguistiques des différentes populations diffèrent toutes les unes des autres.
MLU = Mean Lenght of Utterances. Nous garderons l’abréviation anglaise, plus usitée dans la littérature.