0.6.3. Tests de la troisième hypothèse

Enfin, selon la troisième hypothèse, les enfants autistes ont un problème de compétence et pas seulement de performance, comme indiqué dans la première hypothèse. Ce problème ne prend pas racine dans un déficit spécifique du langage associé à un déficit en théorie de l’esprit comme dans la deuxième hypothèse, mais dans le déficit en théorie de l’esprit, seul. Si l’on adopte ce point de vue, on peut expliquer les différences d’acquisition des enfants Asperger, autistes verbaux et autistes non-verbaux par le degré de sévérité plus ou moins grand du déficit en théorie de l’esprit. Ce qui reste difficile à expliquer est l’écart entre les premiers mots et les premières combinaisons qui est supérieur chez les enfants autistes verbaux à celui des enfants Asperger, et le fait que cet écart soit identique à celui des enfants SLI. Pour expliquer ce fait, Locke (1993, 1994, cf. aussi Hirsh-Pasek & Golinkoff 1996/1999) a proposé une hypothèse intéressante. Un déficit spécifique de l’apprentissage lexical produit des difficultés morpho-syntaxiques chez les patients SLI. Locke fait l’hypothèse que l’apprentissage lexical nécessite une certaine taille de vocabulaire et qu’en dessous de ce seuil critique – autour de 250-300 mots –, l’apprentissage grammatical ne peut se déclencher. Le retard dans la production des premiers mots, et la lenteur de l’acquisition lexicale chez les enfants autistes engendrerait un vocabulaire de trop petite taille pour déclencher l’apprentissage de la grammaire à l’âge auquel il se déclenche chez les enfants normaux. Ainsi cette hypothèse vaudrait aussi bien pour les enfants SLI que pour les enfants autistes, mais ces deux populations ne souffriraient pas des mêmes déficits de base. Le retard d’acquisition des enfants SLI et celui des enfants autistes n’auraient pas de cause commune.

Afin de tester la différence entre les enfants autistes verbaux et les enfants SLI, tout comme pour la seconde hypothèse, une comparaison de corpus, à longueur moyenne d’énoncés similaire, s’impose. Les corpus d’enfants SLI sont disponibles sur la base de données du site CHILDES, et il nous a fallu recueillir les corpus des enfants autistes afin de vérifier si l’on retrouve ou non dans ces corpus les particularités linguistiques présentes dans les corpus français de SLI – difficultés avec les pronoms nominatifs, notamment de 3ème personne du singulier, omission de la copule et de l’auxiliaire verbal, etc. (Plaza & Le Normand 1996, Méthé & Crago 1996).

Enfin, afin de tester le déficit en théorie de l’esprit pour les deux dernières hypothèses, nous avons fait passer des tests de fausse croyance (Wimmer and Perner, 1985), tests standards de la théorie de l’esprit. Nous avons adapté la version dite Sally-Ann avec des figurines Playmobil (voir annexes). Un personnage possède un objet qu’il range à un endroit donné. Ce personnage sort de la pièce, et pendant son absence un deuxième personnage change l’objet de place. Au retour du premier personnage, on demande à l’enfant de désigner l’endroit où le personnage va aller chercher son objet. La bonne réponse est bien évidemment l’endroit où le premier personnage croit avoir rangé l’objet et non l’endroit où il se trouve réellement. Une réponse correcte à cette question permet d’établir que le sujet est capable de se représenter la croyance d’autrui comme différente de celle qu’il a lui-même. A l’inverse, une réponse incorrecte établit que l’enfant n’est pas capable de prendre en compte les croyances d’autrui et qu’il n’a donc pas acquis la théorie de l’esprit.