1.3.1.2.4 Autisme et ToMM

Si les enfants autistes présentent un dysfonctionnement de ToMM, alors ils devraient présenter des difficultés à comprendre les états mentaux épistémiques de croyance. Selon Dennett (1978), il est possible d’évaluer la compréhension de la croyance. Pour cela, il faut voir si l’enfant est capable de concevoir que quelqu’un d’autre puisse avoir une croyance fausse (contredite par la réalité). Cette capacité constituerait un bon test de la théorie de l’esprit chez un organisme, car il permet de distinguer la croyance (vraie) de l’individu et sa prise en compte de la croyance (fausse) d’autrui. Dans cet esprit, Wimmer et Perner (1983) ont élaboré un test de fausse croyance qu’ils ont utilisé avec des enfants à développement typique. Ils ont montré que ces enfants réussissent ce test vers la fin de la quatrième année. Baron-Cohen, Leslie & Frith (1985) ont reproduit ce test (voir figure 4) avec des enfants autistes, des enfants atteints de trisomie 21 et des enfants à développement typique.

Figure 4 : Le test de fausse croyance : « Sally et Anne » (C = enfant ; E = expérimentateur). Reproduit de Baron-Cohen, Leslie & Frith (1985).
Figure 4 : Le test de fausse croyance : « Sally et Anne » (C = enfant ; E = expérimentateur). Reproduit de Baron-Cohen, Leslie & Frith (1985).

Ce test est basé sur le scénario suivant :

Sally range une bille dans un panier. Sally s’en va. Pendant son absence, Anne prend la bille qui était dans le panier et va la ranger dans sa boîte. Sally revient.

On pose alors à l’enfant deux questions :

Pour réussir, l’enfant doit comprendre que puisque Sally s’est absentée, elle n’a pas vu le changement de place de la bille, et qu’elle n’a donc aucun moyen de savoir que sa bille n’est plus dans le panier. A la question « Où Sally va-t-elle aller chercher la bille ?», la grande majorité des enfants normaux et des enfants trisomiques répondent correctement et sont capables de donner l’endroit initial. Seule une petite minorité d’enfants autistes font de même. D’autres études menées sur des enfants normaux, autistes et attardés mentaux appariés en âge mental ont montré que les enfants normaux (à partir de 4 ans) réussissent les tests de fausse croyance, et que les enfants retardés mentaux sont 80% à les réussir alors que seulement 20% des enfants autistes y parviennent (cf. pour une revue Frith 1989a). La plupart des enfants autistes indiquent l’endroit où se trouve actuellement la bille lorsqu’il répondent à la question. Même lorsqu’on modifie la formulation de la question (« Où Sally pense-t-elle que la bille se trouve ? »), on trouve le même type de résultat. Étant donné que les enfants autistes de l’étude sont plus âgés et d’âge mental plus avancé (Frith, 1989a) que les enfants des deux autres groupes contrôles, on peut en inférer que les enfants autistes ont beaucoup de mal à comprendre l’état mental d’autrui. Beaucoup d’autres études corroborent ces résultats (Leekman & Pener, 1991 ; Leslie & Thaiss, 1992 ; Baron-Cohen, 1989b ; Reed & Peterson, 1990 ; Leslie & Frith, 1988 ; Swettenham, 1992).

Perner, Frith, Leslie & Leekman (1989) ont obtenu un résultat similaire à un test différent. L’expérimentateur présentait aux enfants une boîte de Smarties (qui leur est familière) et leur demandait ce qu’il y a à l’intérieur. Les enfants répondaient « des Smarties ». Puis l’expérimentateur leur montrait qu’ils s’étaient trompés (il y a un crayon dans la boîte de bonbons). Les enfants savaient donc qu’il n’y avait pas de bonbon dans la boîte. L’expérimentateur referme le tube et pose à l’enfant deux questions de croyance. La première est : «  Quand je t’ai montré le tube pour la première fois, qu’est-ce que tu pensais qu’il y avait dedans ? » et la seconde est : « Et quand un autre enfant va venir, qu’est-ce qu’il croira qu’il y a dedans ? ». Alors que les enfants à développement typique répondaient correctement (« des Smarties »), les enfants autistes échouaient aux deux questions (« un crayon »). Les enfants qui échouèrent à ce test étaient pourtant conscients du fait qu’ils avaient répondu de façon erronée (sur la base d’une croyance fausse) à la question initiale du test. Les expérimentateurs en ont conclu que les enfants autistes ne comprenaient pas pourquoi ils avaient pensé que la boîte contenait des Smarties. Ils ne comprenaient pas non plus que d’autres puissent faire la même erreur pour les mêmes raisons. Les enfants répondent en se référant à leurs propres connaissances plutôt que de se référer à leur propre fausse croyance initiale ou à la fausse croyance actuelle de quelqu’un d’autre. Ainsi, ces résultats suggèrent que dans l’autisme il y a une incapacité à comprendre les croyances différentes des autres personnes.

L’un des principaux reproches aux tests que nous venons d’expliquer est qu’ils se basent beaucoup sur les compétences verbales des sujets. Or l’une des principales caractéristiques de l’autisme, rappelons-le, est un gros déficit de communication. Ainsi Baron-Cohen, Leslie & Frith (1986) ont repris ces tests mais en utilisant une technique non-verbale. Ils ont proposé à des enfants autistes, à développement typique et trisomiques à qui ils avaient fait passer le test de Sally-Anne, trois types d’histoires : mécaniste, behavioriste et mentaliste. Dans un premier temps, les enfants devaient remettre les vignettes dans le bon ordre, puis ils devaient raconter l’histoire avec leurs propres mots. L’organisation des vignettes permet de juger de leur compréhension de l’histoire, et le récit permet de voir si les enfants utilisent la mentalisation pour reconstituer une histoire.

Figure 5 : Trois types d’histoires (Frith, 1989a).
Figure 5 : Trois types d’histoires (Frith, 1989a).

Histoire de type mécaniste (causalité)

Histoire de type béhavioriste (désir ou but)

Histoire de type mentaliste (fausse croyance)

Les enfants autistes n’ont aucun problème avec les histoires de types mécaniste et behavioriste car elle ne requiert pas la compréhension et l’utilisation des états mentaux. Cela montre encore une fois qu’ID fonctionne normalement chez les personnes autistes. En revanche, ils n’arrivent pas à comprendre les histoires mentalistes. ToMM est donc spécifiquement altéré. Les enfants autistes qui ont échoué au test de Sally-Anne échouent aussi sur les histoires mentalistes que ce soit au niveau de la remise en ordre des vignettes ou pour le récit de l’histoire. Lorsqu’ils racontent l’histoire, ils n’utilisent pas d’états mentaux. Les enfants normaux et trisomiques, même avec un âge mental inférieur, réussissent mieux les histoires mentalistes, aussi bien les histoires behavioristes et un peu moins bien les histoires mécanistes. En résumé, on peut dire que les enfants autistes sont de meilleurs « physiciens » et d’aussi bon « behavioristes » que les enfants à développement typique et trisomiques, mais que ces derniers sont de meilleurs « psychologues ». Mais surtout, cela démontre que le déficit de compréhension des croyances en tant que cause psychologique du comportement – déficit spécifique de l’autisme – n’est pas seulement dû à un problème de langage ou à une incapacité à comprendre la causalité. Cela écarte aussi l’hypothèse d’un déficit général de compréhension des enchaînements séquentiels comme ont pu le montrer certaines études (cf. Rutter, 1978).

Ces différentes études indiquent que les enfants autistes ont un déficit dans le principal aspect de la théorie de l’esprit, à savoir les fausses croyances. Mais il est important de remarquer qu’ils sont aussi déficitaires dans la compréhension d’autres états mentaux comme la connaissance (les vraies croyances) et l’ignorance (Leslie & Frith, 1988). Hogrefe, Wimmer & Perner (1986) ont montré que les enfants à développement typique ne saisissent pas les concepts de connaissance et d’ignorance jusqu’à l’âge de 4 ans. En revanche, ces deux concepts apparaissent légèrement avant la compréhension des fausses croyances. Il existe certaines évidences que ce n’est pas avant l’âge de 4 ans que les enfants à développement typique acquièrent une compréhension causale sur la façon dont de telles méta-représentaions (connaissance et ignorance) surviennent (Leslie, 1988; Wimmer, Hogrefe & Sodian, 1988 ; Perner & Ogden, 1988). Cela peut être également appliqué aux concepts de connaissance partielle et de fausse croyance. Dans l’étude de Leslie & Frith (1988), un peu moins de la moitié des enfants autistes ont réussi les tests de connaissance partielle et la moitié de ceux qui ont réussi le test de connaissance partielle ont réussi par la suite les tests de fausse croyance. Ainsi, tout comme pour les enfants à développement typique, comprendre la notion de savoir serait plus facile que comprendre celle de croire. Étant donné que le savoir est une croyance vraie, elle est plus facile d’accès qu’une croyance fausse (la métareprésentation n’est pas nécessairement impliquée). Leslie et Frith (1988) ont vérifié si les enfants autistes comprenaient la notion de savoir. On montre à l’enfant un acteur en train de cacher un jeton. Une fois, l’acteur parti, on demandait à l’enfant de cacher un second jeton dans un autre endroit. On demande ensuite à l’enfant où l’acteur chercherait son jeton à son retour. La moitié des enfants autistes ont indiqué l’endroit que l’acteur connaissait plutôt que l’endroit qu’il ignorait. Étant donné que seulement un quart des sujets autistes réussissait le test de fausse croyance, le résultat de cette expérience laisse penser que comprendre la notion de savoir est un peu plus facile que de comprendre la notion de croire pour les enfants autistes. Il reste néanmoins que la moitié d’entre eux présentent des déficits dans la compréhension de ces deux états mentaux.