1.3.2.2 Troubles de la communication et cohérence centrale

Plusieurs études ont été réalisées afin d’établir un lien entre les difficultés de communication qu’éprouvent les individus autistes et leur faiblesse en cohérence centrale. Jolliffe et Baron-Cohen (1999a) ont réalisé une série d’expériences qui suggèrent qu’une cohérence centrale déficiente a des répercussions sur la communication.

Dans une première expérience, les auteurs ont montré que les personnes autistes avaient du mal à désambiguïser des homographes en contexte. Prenons l’exemple de l’homographe tear en anglais qui a deux significations : celle de larme – la plus courante – et celle de déchirure. Néanmoins, bien que ces deux mots s’écrivent de la même façon, ils ne sont en aucun cas homophones. Ainsi, lorsqu’un sujet contrôle anglophone lit une phrase contenant le mot tear, il adapte sa prononciation en fonction du contexte. Or les résultats de l’expérience montrent que les sujets autistes choisissent automatiquement le sens le plus courant – celui de larmes – même si le contexte de la phrase révèle clairement que c’est l’autre sens qui s’applique. Cette première expérience montre que les sujets atteints d’autisme sont incapables d’utiliser les informations contextuelles afin de désambiguïser un énoncé.

La seconde expérience réalisée par Jolliffe et Baron-Cohen démontre qu’une cohérence centrale faible a des répercussions sur les aspects pragmatiques du langage des personnes autistes. Ils ont présenté aux sujets autistes un scénario d’où il fallait tirer une inférence pour que l’histoire racontée soit cohérente. Par exemple la première phrase était une affirmation du type George a laissé les robinets de sa baignoire ouverts et la seconde est une autre affirmation, du type George a réparé les dégâts. Pour passer de la première à la seconde phrase, il faut faire l’inférence suivante : la baignoire a débordé. Or les sujets autistes se sont révélés incapables de faire cette inférence.

Enfin, dans leur troisième expérience, les sujets autistes devaient utiliser le contexte pour comprendre le sens d’énoncés ambigus (au niveau lexical ou syntaxique). On fait entendre aux sujets un énoncé du type He drew a gun. Le verbe draw peut avoir deux sens distincts selon le contexte : sortir ou dessiner. Encore une fois, les sujets autistes ont opté pour le sens le plus courant (dans le cas du pistolet, il s’agit du sens sortir) quel que soit le contexte qui lui est associé. Par exemple, l’énoncé était présenté dans le contexte suivant John went to an art class. He drew a gun (John est allé à un cours de dessin. Il a dessiné/sorti un pistolet). Même dans ce contexte, les sujets autistes privilégient le sens de sortir alors que tous les sujets contrôles optent pour le sens de dessiner.

Ces expériences confortent l’idée déjà bien admise de la nécessité d’utiliser le contexte pour une communication efficace. Ces expériences ont été réalisées sur une population autiste de haut niveau qui réussissait les tests de fausse croyance. Il apparaît donc nécessaire de distinguer les capacités de théories de l’esprit – qui ici semblent relativement épargnées – des capacités de cohérence centrale – qui clairement posent problème même à ces personnes autistes de haut-niveau. Cette distinction entre les capacités de théorie de l’esprit et le problème de faible cohérence centrale a été notamment testée par Happé (1994b). Elle a étudié la capacité de sujets autistes de niveau plus ou moins avancé en théorie de l’esprit à comprendre un énoncé non littéral, c’est-à-dire des mensonges ou de l’humour. Elle a remarqué que même les sujets qui réussissaient les tests avancés de la théorie de l’esprit ne pouvaient pas donné une explication pertinente en fonction du contexte.

En conclusion, les théories de l’esprit et d’une faiblesse de la cohérence centrale sont effectivement complémentaires et non pas mutuellement exclusives. Prises conjointement, elles permettent d’expliquer de façon précise l’ensemble des troubles de la communication rencontré par les personnes souffrant d’autisme.