2.2 Vers un modèle inférentiel

Ces différentes difficultés tendent, comme nous l’avons vu ci-dessus, à insérer dans le processus de communication une part d’inférence, qui vient s’ajouter aux processus d’encodage-décodage linguistiques, pour permettre une interprétation de l’énoncé qui corresponde au message que le locuteur entendait communiquer. On peut cependant se demander sur quoi le locuteur s’appuie ou, pour le dire différemment, ce qui contraint le processus inférentiel.

Dans son article consacré à la signification (1957), Grice prend en compte les phénomènes inférentiels dans la communication. Pour expliquer ce phénomène, Grice est parti de la double signification d’un verbe anglais to mean, comme les exemples suivant (traduction prise dans Zufferey, 2007):

(6) Ces boutons signifient qu’il a la varicelle.

(7) Ces trois sonneries dans le bus signifient / veulent dire que le bus est plein.

L’exemple (6) correspond à un cas de signification naturelle car l’énoncé est compris par l’interlocuteur sans qu’il ait besoin d’interpréter la mise en rapport entre le phénomène et le symptôme. Cette relation est indépendante. Dans le même ordre d’idée, la fumée amène naturellement à la conclusion de l’existence d’un feu. En revanche, l’exemple (7) correspond à un cas de signification non naturelle, car il y a un lien arbitraire entre la signification que le locuteur veut communiquer et le moyen d’y parvenir. Grice fait remarquer que dans l’exemple (7), le locuteur aurait pu dire : « Mais en fait, le bus n’est pas plein. Le chauffeur a fait une erreur ». En revanche, les rectifications sont impossibles dans le cas de significations naturelles, comme dans l’exemple (6). Ainsi la notion de signification non naturelle est fortement associée à une acception particulière du verbe to mean, que l’on peut traduire en français par vouloir dire.

Ainsi, selon Grice, si le destinataire veut comprendre le vouloir dire du locuteur, il doit comprendre l’intention de ce dernier. Le problème qui se pose est qu’un énoncé ne signifie pas naturellement l’intention du locuteur. On peut donc définir la notion de signification non naturelle de la façon suivante :

Signification non naturelle

Dire qu’un locuteur a voulu dire quelque chose par une phrase, c’est dire que ce locuteur a eu l’intention, en énonçant cette phrase, de produire un effet sur son interlocuteur par la reconnaissance de cette intention. (Reboul & Moeschler, 1998, p. 49).’

Grâce à cette définition, on remarque que la signification non naturelle repose sur une double intention. Il y a tout d’abord l’intention de transmettre un contenu, puis l’intention de réaliser cette intention grâce à la reconnaissance de cette intention par l’auditeur. Cette double intention est une des grandes innovations de Grice, car les autres théories de l’époque se restreignaient à un seul niveau : l’intention de transmettre un message (intention communicative). Cette double intention est aussi le principe de base de la notion de communication ostensive-inférentielle que nous décrirons plus loin (2.4.2).