2.3 La théorie des implicatures de Grice

Les processus inférentiels ont été décrits plus avant dans les travaux ultérieurs de Paul Grice, notamment dans des travaux des années 60, qui ont été repris dans ses William James Lectures en 1967. Grice y avance l’idée que la communication est régie par un « principe de coopération » et des « maximes conversationnelles ».

Selon le modèle inférentiel, la situation de communication dépend du fait que le destinataire a identifié l’intention de communiquer du locuteur. En effet, si le destinataire identifie un comportement comme un comportement communicatif, il est en droit d’espérer que le locuteur suit certaines règles implicites pour faire réussir la communication. Si le destinataire a connaissance de ces normes combinées au contexte, il lui est plus facile de détecter l’intention communicative. C’est ce que Grice appelle le principe de coopération :

Principe de coopération

Que votre contribution à la conversation soit, au moment où elle intervient, telle que le requiert l’objectif ou la direction acceptée de l’échange verbal dans lequel vous êtes engagé. (Grice 1979, p.93. Traduction française de Wilson et Sperber,).’

Ainsi, cela signifie que dans une situation de communication, lorsque le destinataire tente de détecter une intention communicative, il peut s’attendre à ce que le locuteur suive ce principe et donc agisse de manière coopérative.

Grice (1979) développe ce principe de coopération en neuf maximes, qu’il classe en quatre catégories :

Maximes de quantité

  1. Que votre contribution soit aussi informative que nécessaire.
  2. Que votre contribution ne soit pas plus informative que nécessaire.

Maximes de qualité

  1. Ne dites pas ce que vous croyez être faux.
  2. Ne dites pas ce que vous n’avez pas de raisons suffisantes de considérer comme vrai.

Maxime de relation

Soyez pertinents.

Maximes de manière

  1. Évitez de vous exprimer de manière obscure.
  2. Évitez l’ambiguïté.
  3. Soyez bref.
  4. Soyez ordonné.

Comme on va le voir, le principe de coopération et l’ensemble des maximes permettent de résoudre un certain nombre de problèmes liés à la sous-détermination linguistique des énoncés.

Ainsi, lorsqu’il semble que les maximes et le principe de coopération sont violées dans une situation de communication, on formule donc des hypothèses et des conclusions au delà de ce que dit explicitement l’énoncé26. En effet, certaines informations sont non seulement implicites, mais ne peuvent pas être déduites de façon purement logique de l’énoncé. Grice appelle ces hypothèses et conclusions supplémentaires des implicatures27.

La théorie de la communication de Grice permet de communiquer une pensée de façon explicite mais aussi de façon implicite. Considérons le dialogue suivant, emprunté à Sperber et Wilson (1989, p.59):

(8) Pierre: Veux-tu du café?

Marie: Le café m’empêche de dormir.

En imaginant que (9) fasse partie des hypothèses de Pierre, alors s’il combine cette hypothèse avec ce que dit explicitement Marie, il peut en inférer la conclusion (10).

(9) Marie veut dormir.

(10) Marie ne veut pas de café.

De la même façon si (11) fait partie des hypothèses de Pierre, il peut légitimement en inférer la conclusion (12) :

(11) Les yeux de Marie sont ouverts lorsqu’elle ne dort pas.

(12) Le café ferait que les yeux de Marie restent ouverts.

Quelle que soit la situation, il est logique de penser que Marie a voulu communiquer la pensée (10) plutôt que la (12), même si on peut en inférer les deux conclusions de l’énoncé de Marie. On peut en déduire que Marie a préféré communiquer (10) plutôt que (12) en faisant l’hypothèse qu’elle a suivi les maximes de Grice. En effet, l’énoncé de Marie tel qu’il est produit ne répond pas de façon explicite à la question de Pierre. Or, si l’on suppose que Marie suit la maxime « soyez pertinent », elle avait l’intention de répondre à la question de Pierre. Ainsi, il y a plus de raisons pour Pierre de penser que Marie a voulu qu’il infère (10) à partir de ce qu’elle a dit. En revanche, le même type de raisonnement ne permettrait pas à Pierre d’inférer (12).

Grice a introduit la notion d’intention dans la communication. Ainsi, comprendre un énoncé ne se résume pas à comprendre ce qui est dit de façon explicite : il faut prendre en compte le contenu implicite de toute intervention communicative, qui n’est accessible que par la récupération de l’intention du locuteur. Ainsi, de la même façon, que les maximes de Grice aident l’interlocuteur à choisir entre les différents sens possibles d’une phrase le sens que le locuteur a voulu transmettre, elles aident le destinataire à choisir, parmi les implications du contenu explicite d’un énoncé, la pensée implicite que le locuteur a voulu communiquer.

En effet, les implicatures correspondent au vouloir dire du locuteur. Ainsi, le destinataire s’il souhaite comprendre le vouloir dire du locuteur, doit détecter l’intention du locuteur. Or un énoncé ne révèle pas naturellement l’intention du locuteur, d’où la nécessité de processus inférentiels. La théorie des implicatures de Grice met donc en avant la reconnaissance des intentions, qui passe, comme le montrent les sciences cognitives contemporaines par la théorie de l’esprit, c’est-à-dire, par la capacité à comprendre les états mentaux d’autrui et à prédire son comportement sur cette base. Le fait de détecter l’intention communicative du locuteur permet au destinataire de comprendre qu’il doit comprendre l’information que le locuteur veut lui faire passer et ainsi s’engager dans la conversation.

Notes
26.

On voit ici la différence avec le modèle du code.

27.

Nous garderons le terme anglais de Grice.