2.4 La théorie de la pertinence de Sperber et Wilson

2.4.1 La théorie de la pertinence 

La théorie de la pertinence se place dans la continuité des travaux de Grice. Même si elle diffère sur quelques points, elle garde certains principes fondamentaux de la théorie gricéenne de la communication.

Sperber et Wilson conservent notamment l’idée selon laquelle la récupération de l’intention du locuteur est au cœur de la communication, et, notamment, de la communication verbale.. Néanmoins, ils ne rejettent pas totalement la théorie du code. Selon eux, les aspects codiques de la communication jouent un rôle premier dans la compréhension de la communication. Ils permettent de dégager certaines des prémisses à partir desquelles les processus inférentiels vont conduire aux intentions du locuteur.

Sperber et Wilson sont également d’accord sur le fait que les locuteurs attendent de leur interlocuteurs que leurs propos soient pertinents. En revanche, ils ne pensent pas que ces attentes de pertinence soient régies par le principe de coopération et les maximes conversationnelles. Certes les locuteurs doivent coopérer pour se comprendre mais pas dans le sens de Grice. Selon Sperber et Wilson, l’ensemble constitué par les maximes de Grice et par son principe de coopération peut être remplacé par un principe unique : le principe de pertinence.

Selon Sperber et Wilson, la pertinence (définie par la minimisation des coûts de traitement et par la maximisation des effets cognitifs produits par un stimulus donné) est un trait spécifique à l’esprit humain et la tendance de la cognition humaine est de maximiser cette pertinence en fonctions des hypothèses disponibles. Cette tendance universelle est décrite plus précisément comme le principe cognitif de pertinence par Sperber et Wilson (1995, p ; 260) : La cognition humaine tend à maximiser la pertinence des informations qu’elle traite.

Ce principe serait suffisamment précis pour expliquer la composante inférentielle de la communication. Sperber et Wilson (1989) définissent le principe de pertinence appliqué à la communication comme suit :

‘Principe de pertinence
Tout acte de communication ostensive communique la présomption de sa propre pertinence optimale.’

Cette propriété unique – le principe de pertinence – permet d’expliquer comment les individus sélectionnent les informations particulières qui retiendront leur attention à un moment donné. La théorie de la pertinence ne prend pas uniquement en compte les aspects linguistiques de la communication : elle s’intéresse surtout à la façon dont l’esprit humain fonctionne en situation de communication. Les énoncés ne sont pas les seuls éléments pertinents, les pensées, les croyances, les souvenirs et les composantes de l’environnement où a lieu la communication peuvent l’être aussi.

Selon Sperber et Wilson, un énoncé n’est pas interprété à partir de l’énoncé en isolation, mais de l’énoncé relativement à un contexte, qui, comme nous le verrons plus bas, intègre des informations de sources diverses, situation de communication, mais aussi croyances de l’interlocuteur. Étudions le dialogue suivant :

(13) a. Théophile: Juliette est-elle bien arrivée à Montréal ?

b. Emma : Ils affichent les résultats !

Si l’on ne prend en compte que les indices linguistiques, la réponse d’Emma à la question de Théophile semble totalement inadéquate, voire incohérente avec la question de Théophile. Cependant, si nous savons qu’Emma et Théophile attendent les résultats du baccalauréat, que Théophile, rencontrant Emma, entame la conversation au sujet d’une amie commune (a), qu’Emma garde un œil sur les tableaux d’affichage et qu’elle remarque que les résultats viennent d’être affichés, l’énoncé (b) apparaît très pertinent. Il est en effet plus urgent de savoir si ils ont réussi leur baccalauréat que de savoir si Juliette est bien arrivée au Canada. Comme le démontre cet exemple, le contexte de l’énonciation est essentiel pour déterminer la pertinence d’un énoncé.

La notion de pertinence n’est pas absolue. Un énoncé est plus ou moins pertinent non seulement en fonction du contexte d’énonciation, des locuteurs, mais surtout de leur environnement cognitif mutuel. L’environnement cognitif mutuel est l’ensemble des hypothèses qui sont mutuellement manifestes pour tous les individus à un moment donné. Sperber et Wilson (1989) donnent la définition suivante de la notion de manifesteté mutuelle : on dit d’une hypothèse qu’elle est manifeste pour un individu « si et seulement si cet individu est capable à ce moment-là de représenter mentalement ce fait et d’accepter sa représentation comme vraie ou probablement vraie. »

Par exemple, prenons l’environnement cognitif E suivant, partagé par Théophile et Emma et dans lequel (14) et (15) sont manifestes :

(14) Théophile et Emma partagent l’environnement cognitif E.

(15) On sonne à la porte.

De même les hypothèses (16) à (18) sont également manifestes de même que le nombre indéfiniment grand d’autres hypothèses que l’on peut construire sur le même modèle, le sont :

(16) Il est manifeste pour Théophile et pour Emma qu’on sonne à la porte.

(17) Il est manifeste pour Théophile et pour Emma qu’il est manifeste pour Théophile et pour Emma qu’on sonne à la porte.

(18) Il est manifeste pour Théophile et pour Emma qu’il est manifeste pour Théophile et pour Emma qu’il est manifeste pour Théophile et pour Emma qu’on sonne à la porte.

Plus les hypothèses deviennent complexes, plus il devient difficile de se les représenter. Néanmoins, cela ne signifie pas qu’elles ne sont pas manifestes. Ces hypothèses demeurent manifestes tant qu’elles sont concevables même si leur représentation devient impossible. Toutes les hypothèses (14) à (18) et toutes les hypothèses de l’environnement cognitif E sont manifestes pour Théophile et Emma, mais elles sont de plus, mutuellement manifestes.

La notion de contexte fait intervenir la notion d’environnement cognitif. Le contexte n’est pas figé, il est construit pour l’interprétation de chaque énoncé. Selon la théorie de la pertinence, différents types d’informations (qui constituent conjointement l’environnement cognitif d’un individu à un moment donné) forment le contexte. Certaines informations ne changent pas ou peu : elles sont stockées dans la mémoire à long terme. Ce sont les connaissances encyclopédiques. D’autres informations, conservées dans la mémoire à moyen terme, correspondent aux interprétations des énoncés précédents. Enfin, les informations perceptibles dans l’environnement physique où se produit la communication sont stockées dans la mémoire à court terme.

Le contexte, dans l’optique de la théorie de la pertinence, est constitué d’un sous ensemble de ces différents types d’information, sélectionnées pour l’interprétation d’un énoncé particulier, sur la base du principe de pertinence, c’est-à-dire comme l’ensemble d’informations qui permettra de réduire le coût de traitement de l’énoncé considéré et d’en augmenter les effets cognitifs.