3.2.1 La théorie associative

3.2.1.1 Les différent courants de la théorie associative

L’acquisition du langage semble simple du point de vue associatif. Prenons un exemple simple. L’enfant d’environ un an joue à poursuivre le chien de la famille. Il essaie de lui donner une petite tape à chaque fois qu’il est en mesure de l’atteindre. Le chien, un peu agacé, sort de sous la table et prend la fuite. La mère de l’enfant dit alors « chien ». Elle poursuit avec « Tu cours après le chien. C’est le chien ». L’enfant s’arrête dans sa course et pointe le doigt en direction du chien et crie « hien !». Sa mère sourit et lui répond « oui, chien ».

Beaucoup de parents – ainsi que des philosophes et des psychologues – croient (à tort comme nous le verrons) que l’acquisition du langage se résume à ce simple processus. Elle peut être expliquée en partie par un processus d’association et d’imitation et d’autre part par l’effort des parents qui souhaitent que leur enfant apprenne à parler. L’enfant commence par écouter ses parents utiliser des mots et il arrive à associer les mots avec ce à quoi il réfère. Lorsque l’enfant prononce des mots, sa bonne utilisation de ce mot est récompensée et sa mauvaise utilisation est gentiment corrigée.

La théorie associative a été la solution la plus populaire et a dominé le monde de la psychologie et de la philosophie pendant plusieurs siècles. Elle postule que si deux pensées apparaissent au même moment, elles vont s’associer et que l’une va permettre le développement de l’autre. Ainsi l’enfant apprendrait le sens du mot « chien » parce que le mot est utilisé par un interlocuteur lorsque l’enfant est en train d’observer ou de penser à un chien. Il en résulte que l’animal (ou sa représentation, quelle qu’elle soit) a été associé au mot « chien » et que l’enfant a ainsi appris ce à quoi le mot réfère.

On a proposé plusieurs versions de cette théorie. La version de Skinner (1957) propose que l’apprentissage du sens des mots se fait par l’établissement – par renforcements et sanctions – d’une connexion entre un ensemble de stimuli et une réponse verbale. Beaucoup de théories computationnelles de l’acquisition lexicale fonctionnent de la même manière. Par exemple, Richard et Goldfarb (1986) postulent que les enfants arrivent à connaître le sens du mot « voiture » car ils ont entendu à maintes reprises les adultes prononcer ce mot dans des situations similaires. Certaines propriétés perceptuelles apparaissent de façon répétée avec le mot et, l’association est donc renforcée, comme c’est le cas avec la propriété avoir quatre roues ; d’autres sont affaiblies comme par exemple la propriété être bleue. Il résulte de ce processus que l’enfant va associer le mot « voiture » uniquement avec les propriétés que seule une voiture possède. On peut dire à ce moment-là que le mot a été acquis.

D’autres théories se sont développées à partir de cette vision connexionniste, comme celle de Plunkett et al (1992). Ils proposent un modèle dans lequel les images et les mots se trouvent dans un réseau qui est entraîné à associer ces mots et ces images. Une production réussie se produit lorsque le réseau génère le mot approprié en réponse à une image. Et, inversement, une compréhension réussie se produit lorsque le réseau génère l’image appropriée en réponse à un mot. Ce modèle est proposé comme une théorie sur la façon dont les enfants apprennent des mots et suggère que l’acquisition lexicale – et plus généralement l’acquisition du langage (Plunkett, 1997) – est mieux expliquée à l’aide d’une architecture connexionniste sensible aux régularités statistiques de l’environnement.

Plusieurs faits sont en accord avec cette perspective. Les premiers mots des enfants réfèrent souvent à des objets qu’ils peuvent voir ou toucher, comme le prévoit la théorie associative. Les mots sont plus précisément appris dans des contextes où l’association se fait plus facilement. Il est plus facile d’apprendre le sens du mot chien à un enfant, en pointant le doigt sur un chien, en s’assurant que l’enfant porte bien son attention sur le chien, et en prononçant le mot « chien ». En revanche, si on attend qu’il n’y ait pas de chien aux alentours et que l’enfant ne pense pas à un chien pour dire le mot « chien », alors le mot ne sera pas appris.

Lois Bloom (1994, p. 221. Nous traduisons32) résume une des théories associatives comme suit :

‘« Une fois que l’enfant apprend quelque chose sur les objets ou les événements et sur les mots en tant que mots, l’apprentissage lexical consiste en un bon vieil apprentissage associatif. Au début, les données pour l’apprentissage du sens du langage résident dans les circonstances d’utilisation dans lesquels les enfants entendent les mots et les phrases. Le sens des mots précoces tels que « gâteau », « parti », « plus » et « maman », ou des petites phrases telles que « manger viande » ou « lancer balle » peut être déduit à partir des mots et des événements correspondants (…). L’apprentissage associatif est maintenant réapparu dans une théorie contemporaine appelée « connexionnisme » (…). Le connexionnisme continuera d’être débattu dans le champ de la syntaxe, mais actuellement il offre une perspective plus économique de l’acquisition lexicale qu’une théorie basée sur des principes lexicaux a priori. »’

Cette perspective de la théorie associative postule plus de capacités de l’enfant que le point de vue computationnel ou philosophique. Bloom pense que le mécanisme d’apprentissage suppose une catégorisation préalable en termes d’objets et d’événements, et en termes de mots et de phrases. L’originalité de son point vue tient en ce que la relation entre le mot et ce à quoi il réfère n’est ni établi par un processus de raisonnement et d’inférence, ni par un mécanisme spécialisé d’apprentissage des mots, mais par une sensibilité à la co-variation. La proposition de Lois Bloom préserve l’un des principaux mérites de la théorie associative : la parcimonie. Si on accepte cette théorie, on se rend compte que l’enfant utilise des capacités mentales qui sont présentes chez l’animal. Ainsi un rat sera capable d’associer un bruit à une sensation douloureuse de la même façon que l’enfant associera le mot gâteau avec la vision ou l’odeur du gâteau.

Toutes les théories associatives, qu’elles soient philosophique, computationnelle, connexionniste ou celle de Lois Bloom ont en commun deux facteurs importants : la saillance perceptive de l’objet – l’enfant doit pouvoir voir l’objet et lui accorder son attention – et la coïncidence entre l’objet et le mot.

Notes
32.

« Once the child learns something about objects and events, and about words qua words, word learning consists of good old-fashioned associative learning. In the beginning, the data for learning the meanings of language are in the circumstances of use in which children hear words and sentences. The meanings of early words like cookie, gone, more, and mama, or little sentences like « eat meat » or « throw ball » can be gotten from the words and their corresponding events (…). Associative learning has now reappared in contemporary theory as « connectionism » (…). Connectionism will continue to be debated in the realm of syntax for some time, but so far it offers a more parsimonious account of lexical learning than a theory based on a priori lexical principles. »