Hirsh-Pasek et Golinkoff (1996/1999) proposent un modèle expliquant comment la compréhension du langage aide les jeunes enfants à internaliser et à interpréter les événements. Sur la base du travail de Gernsbacher (1988), elles proposent que le développement de la compréhension du langage se déroule selon 3 phases successives. Dans un premier temps, le langage aide les enfants à segmenter les événements non-linguistiques qui doivent être internalisés et interprétés approximativement. À ce stade, le langage n’est pas vraiment traité en tant que langage. Les enfants ne vivent pas dans un monde linguistique mais dans un monde acoustique (ou visuel pour le langage des signes). Cette phase I (approximativement entre 0 et 9 mois)38, dite phase d’internalisation, implique le processus d’extraction de Peters (1985) ; mais elle va plus loin, elle implique ce que Hirsh-Pasek et Golinkoff appellent le découpage acoustique. Ainsi les enfants utilisent les unités acoustiques qu’ils perçoivent comme un guide pour segmenter et unifier les événements non-linguistiques. La seconde phase (de 9 à 24 mois) est une phase d’internalisation et d’interprétation. Les enfants commencent à analyser les unités acoustiques extraites lors de la phase 1 et à apparier le résultat (mots et propositions) avec la représentation correspondante des objets et des événements. Les enfants font ces appariements en fonction de la sémantique de leur langue maternelle. Lorsque les indices sémantiques, prosodiques, contextuels et syntaxiques sont concordants, les enfants montrent des signes de compréhension de la phrase (Hirsh-Pasek et Golinkoff, 1993), avant de pouvoir produire des énoncés de deux mots. Enfin, durant la phase III qui dure de 24 à 36 mois, la dépendance vis à vis de la corrélation des indices décline à mesure que la capacité des enfants à produire des analyses syntaxiques augmente. À ce stade, la compréhension des phrases peut avoir lieu en l’absence des événements décrits et les enfants sont capable de faire des analyses inter-propositionnelles afin d’obtenir du sens. Ainsi la phase III renvoie à une analyse complexe syntaxique – une phase avancée de l’interprétation du langage.
Phase | Processus | Représentations | Compréhension linguistique | Production linguistique |
Phase I | Internalisation | Corrélats acoustiques des structures linguistiques Images-schéma (non propositionnel) |
Quelques mots | Peu, ou pas, de mots |
Phase II | Internalisation et Interprétation | Mots, grammaire précoce ; Propositions ; les coupures dépendent du langage |
Syntaxe, sémantique, contexte et prosodie lorsqu’il y a coïncidence des indices | Phrases transitives et intransitives prototypiques ; souvent incomplètes. |
Phase III | Interprétation | Représentation hiérarchique des structures linguistiques ; Propositions ; dépendantes dans leur nature du langage |
Syntaxe, même hors coïncidence des indices ; Peut mélanger les relations inter-propositionnelles |
Phrases complètes, variété des structures |
Le modèle de la coalition émergente a plusieurs mérites. Les enfants sont progressivement capables d’analyser l’input de différentes façons qui s’additionnent au fur et à mesure du développement : ils se concentrent sur les informations prosodiques lors de la phase I, intègrent les informations sémantiques lors de la phase II et enfin les informations morpho-syntaxiques lors de la dernière phase. Ainsi, Hirsh-Pasek et Golinkoff soutiennent que les différents systèmes du langage (la prosodie, la sémantique et la syntaxe) et les influences environnementales (les relations sociales) interagissent dans une sorte de coalition lors du développement de la compréhension du langage. Ce modèle permet d’organiser les données existantes sur les processus d’acquisition du langage. Enfin, cette perspective permet de voir la compréhension du langage comme un outil pour étudier le développement cognitif dans le contexte de la construction des modèles mentaux.
En résumé, afin que ce modèle fonctionne correctement, les enfants doivent essayer de construire des modèles mentaux du monde et d’utiliser le langage comme un véhicule pour permettre la construction de ces modèles mentaux.
Les âges listés sont les âges prototypiques auxquels se déroulent les phases de développements. Ils ne sont pas à prendre de façon rigide. Les stades par lesquels passent les enfants sont plus importants que les âges eux-mêmes.