3.2.3.4 Résumé et commentaires sur le modèle de coalition des indices de la compréhension du langage.

Le point important de la théorie proposée par Hirsh-Pasek et Golinkoff est de ne pas se focaliser exclusivement sur la production linguistique mais de donner une part importante à la compréhension du langage car elle permet aux enfants de construire leurs modèles mentaux au sujet du monde qui les entoure. L’une des prémisses de cette approche, en accord avec celle de Bloom (1993, 1994), est que les enfants sont amenés à construire des modèles mentaux des événements et des relations qu’ils observent (ou imaginent) dans le monde.

Selon ce modèle, les enfants passent par trois stades successifs. La figure YY montre que les enfants ont à leur disposition tous les indices nécessaires à leur compréhension, mais que, selon le stade auquel ils sont, les indices n’ont pas tous le même poids.

Figure 7 : Le modèle de la coalition émergente de la compréhension du langage : le poids des indices selon les stades. (Hirsh-Pasek et Golinkoff, 1999 ; notre traduction)
Figure 7 : Le modèle de la coalition émergente de la compréhension du langage : le poids des indices selon les stades. (Hirsh-Pasek et Golinkoff, 1999 ; notre traduction)

Lors de la phase 1, les enfants ont accès à la totalité des indices, mais ils sont biaisés pour ne s’intéresser qu’aux indices prosodiques. Ils utilisent les propriétés acoustiques du langage pour définir les corrélats acoustiques des unités du langage et pour internaliser les événements. Cette phase est caractérisée par l’extraction et le découpage acoustique; les événements acoustiques sont extraits et ensuite liés avec les événements de l’environnement.

Lors de la seconde phase, les enfants commencent à analyser les unités extraites lors de la phase 1 et s’engagent dans un appariement linguistique39, avec un biais vers l’analyse sémantique. Ici, les enfants détectent des propositions internes(clause-internal propositions) et apparient le langage avec les objets, les actions et les événements. De plus, lors de cette phase, les enfants commencent à utiliser le langage non seulement pour l’internalisation de leurs modèles mentaux, mais aussi pour les interpréter. Les enfants en phase 2 ont déjà la capacité de décomposer le signal de la parole en unités particulières et propositionnelles, ainsi que de découper leurs observations sur le monde en séquences d’événements. Ces enfants ont une grande confiance dans la redondance des indices de la coalition qu’ils utilisent comme des outils linguistiques qui leur permettent finalement d’interpréter le monde. Lorsque les indices de la coalition sont en conflit, les enfants en phase 2 résolvent le problème en se fiant à la probabilité sémantique.

Enfin, lors de la phase 3, les enfants apprennent à comprendre et à produire du langage afin de se représenter des événements plus complexes dont ils n’ont pas forcément été témoins, ainsi que des constructions syntaxiques multipropositionelles. Ici, les enfants sont biaisés pour s’intéresser aux indices syntaxiques – bien que les autres aspects de la coalition d’indices continuent de les influencer dans l’interprétation de ce qu’ils entendent. Grâce à leurs capacités accrues à garder en mémoire plus d’un événement, ils sont donc motivés à utiliser des propriétés linguistiques spécifiques du langage afin d’étendre leurs capacités d’expression ou de compréhension. Plus tard, les enfants construisent des significations complexes à partir d’éléments textuels plus longs, puisqu’ils comprennent les histoires et les conversations. Ceci présuppose des connaissances acquises à partir de l’affinement continuel des modèles mentaux construits grâce au langage.

Ainsi tous les indices sont disponibles à tout moment; en revanche, ils ne sont pas tous accessibles de façon égale pour l’enfant à une phase d’acquisition bien précise (voir figure 7).

Le modèle de la coalition de la compréhension du langage que Hirsh-Pasek et Golinkoff ont développé est construit sur différents types d’information – sons, indices sociaux, analyses contextuelles et syntaxe. Or chacune de ces informations constitue elle-même une coalition d’indices. Cette autre coalition d’indices est nichée à l’intérieur de chaque domaine de la « grande » coalition. Ce phénomène a été discuté par Morgan, Shi et Allopenna (1995) et par Hirsh-Pasek, Tucker et Golinkoff (1995) pour le domaine de la prosodie. Le même argument peut être fourni pour chacun des domaines de la coalition. Ainsi une description complète du modèle de la coalition passe par une description de tous les microsystèmes en plus de la description du macrosystème donné ici.

Il est intéressant de voir que ce modèle est en accord avec les mécanismes permettant les transitions entre les différentes phases. Hirsh-Pasek et Golinkoff disent ainsi que le principe de divergence (discrepancy)de Bloom (1993) est intéressant pour expliquer le passage des enfants de la phase I à la phase II. L’une des conséquences du développement des capacités symboliques de l’enfant au cours de la phase I est que ses pensées et ses visions du monde deviennent incompatibles avec les données qu’il perçoit du monde. De même, le passage de la phase II à la phase III est expliqué par le principe d’élaboration de Bloom (1993). Au cours de l’acquisition lexicale, les connaissances sur le monde font que le contenu de l’esprit devient de plus en plus élaboré. Plus il y a d’éléments et de relations entre les éléments des états intentionnels, plus les enfants ont besoin de savoir parler pour exprimer et formuler ce que sont les éléments.

Notes
39.

Linguistic mapping dans la version originale.