3.3 Langage et théorie de l’esprit

Selon Bloom (1997), la théorie de l’esprit joue un rôle central dans la façon dont les enfants apprennent le sens de certains mots. Elle sous-tend la façon dont ils déterminent la référence d’un mot nouveau, car ils ne se servent pas de la contiguïté spatio-temporelle mais de l’intention référentielle du locuteur (détectée à partir de la direction du regard etc.). La compréhension de la notion de but, de dessein est souvent nécessaire pour que l’enfant puisse identifier les entités et les actions auxquelles les noms et les verbes réfèrent (notamment les noms collectifs et les verbes impliquant un but ou une intention). La théorie de l’esprit permet d’inférer l’intention référentielle des adultes, d’acquérir des notions telles que « opinion », « estimation » (guessing), mais aussi des noms et des verbes désignant des objets et des actions concrets. Mais Bloom (1997) insiste bien sur le fait que la théorie de l’esprit n’est pas le seul élément jouant un rôle dans l’apprentissage des mots : les contraintes conceptuelles et les signaux linguistiques y participent également.

La nature de ce lien entre langage et acquisition de la théorie de l’esprit a été expliquée de différentes manières (Astington & Jenkins, 1995). Pendant longtemps, le point de vue dominant a été qu’une compréhension représentationnelle de l’esprit se développait dans un premier temps et servait ensuite de base sur laquelle le langage s’établissait. D’autres études (Freeman, Lewis & Doherty, 1991 ; Siegal & Peterson, 1994) postulent aussi qu’une compréhension représentationnelle de l’esprit se développe dans un premier temps, mais que les compétences sous-jacentes de l’enfant peuvent être masquées par la complexité linguistique et les propriétés pragmatiques du langage dans les tests de théorie de l’esprit. Une troisième théorie postule que le langage facilite la cognition sociale et le développement de la théorie de l’esprit en attirant l’attention sur les explications mentales du comportement (Dunn et al., 1991 ; Bartsch & Wellman, 1995). Le langage serait le médiateur de la théorie de l’esprit.

Le langage et la théorie de l’esprit sont donc intimement liés. Ces deux capacités se développent simultanément et se soutiennent mutuellement. L’acquisition du langage comprend deux aspects : l’acquisition du lexique qui se poursuit tout au long de l’existence et celle de la syntaxe, qui, chez les enfants normaux, se fait à un « âge critique », les facilités pour acquérir un langage disparaissant progressivement jusqu’à l’adolescence. Certains linguistes, comme Chomsky (1971), supposent que le lexique est appris alors que la syntaxe est une capacité centrale du langage et serait en grande partie innée. Nous allons voir deux types d’études étudiant ce lien. Le premier type s’y intéresse en se basant plus particulièrement sur la syntaxe (3.3.1), alors que le second type fonde son étude sur la relation entre le lexique et la théorie de l’esprit (3.3.2).