6.6 Synthèse

Les résultats obtenus ci-dessus confirment l’hypothèse selon laquelle les enfants autistes ont un déficit de théorie de l’esprit. En effet, aucun des enfants testés n’a réussi les tests de fausse croyance. Les résultats vont même plus loin car le problème pour cette cohorte de patients ne se situe pas seulement au niveau de la théorie de l’esprit de premier niveau mais au niveau de la compréhension de la trame narrative d’une histoire.

Néanmoins, l’expérience sur la détection des indices de l’attention conjointe nous permet de relativiser les résultats des tests de fausse croyance. En effet, en situation de tests, les enfants autistes démontrent une capacité à détecter un certain nombre d’indices de l’attention conjointe. Tous nos sujets ont au moins atteint le niveau 2 d’attention conjointe, niveau sans verbalisation. De plus, les enfants qui n’ont pas dépassé le niveau 2 ont refusé de poursuivre l’expérience.

Nous devons néanmoins nuancer les résultats de notre expérience sur la détection des indices de l’attention conjointe. Le plus gros problème des enfants autistes n’est pas de pouvoir atteindre tel ou tel niveau mais d’arriver à généraliser cette aptitude. En effet, Félix et Lyne ont tous les deux échoués au premier essai du niveau 6 (le niveau est tout de même réussi car selon Corkum et Moore, en phase de baseline, le niveau est réussi si l’enfant a plus de bonnes réponses que de mauvaises, voir chapitre 7). Or ils avaient compris que l’expérimentateur devait regarder l’un des deux objets. Ils savaient donc ce qu’ils devaient faire et où regarder pour avoir cette information. En situation écologique, sans savoir ce qu’ils doivent regarder, il nous semble qu’il serait plus difficile pour eux de regarder spontanément les yeux de leur interlocuteur.

Comme nous l’avons expliqué plus haut (1.3.1), le niveau d’attention conjointe et l’acquisition du langage seraient intimement liés. Pour vérifier cette hypothèse, regardons la corrélation de la progression linguistique des enfants autistes de notre étude et leur niveau d’attention conjointe :

Tableau 84 : Corrélation entre la progression linguistique et les capacités d’attention conjointe.
  Progression linguistique Niveau d’attention conjointe
Victor 0 % ≈ 2
Eliott 1,32 % 2
Lyne 69,43 % 6
Matthieu 49,5 % 4 +
Félix 85,52 % 6
Maeva 37,35 % ≈ 6
Grégory 10,96 % 3 +

Nous remarquons que les enfants qui ont le plus progressé linguistiquement au cours des trois années d’études sont les enfants qui ont le niveau d’attention conjointe le plus élevé. Félix a même fait preuve d’attention partagée en vérifiant dans les yeux de l’expérimentateur l’objet de son attention. Tout comme Lyne et Félix, Maeva atteint le niveau 6, mais sa progression linguistique est beaucoup plus faible, car elle a commencé à progressé au niveau linguistique seulement à partir de la dernière année de l’étude et moins rapidement que Lyne et Félix. De plus, la comparaison entre Félix et Matthieu deux enfants qui se trouvaient au même stade d’acquisition au début de l’étude mais qui ont eu des évolutions linguistiques différentes est claire. L’enfant qui a le plus développé le langage (à savoir Félix) est l’enfant qui a le plus haut niveau d’attention conjointe.

À un niveau plus linguistique, nous venons de voir que les enfants autistes produisent beaucoup moins d’initiations que de réactions. Au sein des initiations, nous avons noté qu’ils produisent préférentiellement des requêtes plutôt que des assertions. Ainsi, malgré l’évolution linguistique dont les enfants autistes de notre étude ont fait preuve, nous remarquons que les problèmes socio-pragmatiques persistent et ceci quel que soit leur niveau d’attention conjointe.