7.3.1 Protocole de Corkum et Moore

Cette expérience est basée sur les travaux de Corkum et Moore (1995). Ceux-ci ont fait l’hypothèse que l’émergence de l’attention conjointe serait plus précoce que ne le dit la littérature et se situerait autour de l’âge de 6 mois. Ils insistent particulièrement sur l’importance de la présence d’une cible et sur la dissociation des indices (regard, orientation de la tête) nécessaires pour que l’attention conjointe s’établisse. Ils ont ainsi étudié dans un premier temps l’âge de l’apparition de l’attention conjointe. Dans un deuxième temps, ils font l’hypothèse que dans le cas où l’attention conjointe ne se mettrait pas en place spontanément, elle pourrait et devrait être apprise étant donné son importance dans le développement de la compréhension sociale et de l’apprentissage lexical.

L’étude menée par Corkum et Moore (1995) a donc tenté de répondre aux deux hypothèses formulées plus haut : à savoir un âge plus précoce de l’acquisition de l’attention conjointe et une possibilité d’entraînement de l’attention conjointe. L’étude a été menée auprès de 63 enfants âgés de 6 à 11 mois, répartis en trois groupes d’âge (6-7 mois, 8-9 mois et 10-11 mois). L’enfant est assis sur les genoux d’un de ses parents, face à l’expérimentateur. Deux jouets télécommandés sont disposés de part et d’autre de l’enfant. L’expérimentateur peut activer les jouets sans que l’enfant puisse s’en apercevoir. Les deux objets télécommandés jouent le rôle de renforçateurs lorsque l’enfant suit la direction initiée par l’expérimentateur. L’expérimentation était constituée de trois phases :

  • La phase dite de baseline : L’expérimentateur réalisait deux essais (contre-balancés de façon aléatoire) de chaque côté sans que le jouet s’anime. Cette phase permet d’estimer si l’enfant a déjà une attention conjointe spontanée vers des cibles extérieures.
  • La phase non contingente : lorsque l’expérimentateur regardait l’une des deux cibles, cette dernière s’activait ou s’allumait deux secondes après le changement de direction de regard de l’expérimentateur. L’activation de l’objet n’avait rien à voir avec le comportement de l’enfant. Tout comme lors de la phase de baseline, deux essais de chaque côtés (contre-balancés de façon aléatoire) sont réalisés. Cette phase permet de faire comprendre à l’enfant le lien entre l’activation du jouet et le changement de direction du regard de l’expérimentateur.
  • La phase contingente : l’expérimentateur regarde l’une des deux cibles et cette dernière ne s’allume ou ne s’active que lorsque l’enfant regarde dans la même direction que l’expérimentateur. Lors de cette phase, dix essais contre-balancés comme précédemment au maximum (selon les performances des sujets) sont réalisés de chaque côté. Il s’agit de la phase d’apprentissage de la réponse d’attention conjointe à l’initiation de l’expérimentateur.

Le codage des réponses des sujets a été effectué par une personne neutre et extérieure à l’étude. Cela consistait à noter, lors de chaque essai si le sujet avait regardé ou non dans la bonne direction. Les bonnes réponses ainsi que les mauvaises réponses de chaque essai étaient comptabilisées. En effet, pour Corkum et Moore, il est important de comparer le nombre de bonnes réponses au nombre de mauvaises réponses, car l’attention conjointe est engagée lorsque le nombre de bonnes réponses est supérieur d’au moins 2 points au nombre de mauvaises réponses lors de la phase de baseline. Lors de la phase contingente, pour qu’il y ait attention conjointe, il fallait que le sujet regarde cinq fois consécutives dans la bonne direction.

Selon ces critères, les auteurs ont décomposé les résultats des enfants en trois catégories de réponses :

  • Le comportement d’attention conjointe devient spontané si les sujets remplissent les deux critères mentionnés plus haut.
  • Le comportement d’attention conjointe est en apprentissage si les sujets ont satisfait le premier critère et pas le second.
  • Le comportement de persévération : les enfants ne remplissent aucun des deux critères, mais regardent toujours dans la même direction dans 70% des essais.

Corkum et Moore ont montré que les enfants de 6 et 7 mois présentent essentiellement des comportements de persévération. Quelques enfants de 8 et 9 mois font preuve d’attention conjointe spontanée, mais la plupart des enfants du groupe montrent des comportements de persévération ou d’apprentissage. En revanche, environ la moitié des enfants de 10 et 11 mois ont un comportement d’attention conjointe spontanée, plus du quart restant est en phase d’apprentissage et la dernière partie est en phase de persévération. Ainsi, l’attention conjointe visuelle spontanée n’apparaît pas avant l’âge de 10 mois. Mais dès l’âge de 8 mois, les enfants sont capables de suivre le regard, alors que les enfants plus jeunes persévéraient dans la même direction dans la majorité des essais.