1.1.2. Comprendre l'activité d'un opérateur

1.1.2.1. Le positionnement de l'ergonome comme sujet épistémologique

Il existe plusieurs définitions de l'ergonomie. Etymologiquement, ce terme provient du mot grec "ergon" qui signifie travail, et désigne donc la science du travail. Mais si l’ergonomie s’est initialement intéressée aux situations de travail définies comme « un comportement acquis par apprentissage et tenu de s’adapter aux exigences d’une tâche » , elle a depuis élargi son champ d’étude à toutes les formes d’activité susceptibles d’être améliorées. En pratique, Leplat, l’un des membres fondateurs de la société d’ergonomie de langue française (SELF), en propose deux acceptions différentes : soit « une technologie dont l'objet est l'aménagement du travail , soit la science de l'activité de l'homme au travail, voire la science du travail » . La SELF a adopté en 1988 la définition suivante : « la mise en œuvre de connaissances scientifiques relatives à l'homme et nécessaires pour concevoir des outils, des machines et des dispositifs qui puissent être utilisés par le plus grand nombre avec le maximum de confort, de sécurité et d'efficacité. » Dans le monde anglo-saxon, une définition couramment acceptée est celle de Wilson & Corlett : “the theoretical and fundamental understanding of human behavior and performance in purposeful interacting systems, and its application to design interactions in the context of real settings” , p560.

Pour comprendre l'activité d'un opérateur, l'ergonomie fait appel à des connaissances issues de plusieurs disciplines : psychologie, physiologie, sociologie, sémiotique, médecine, ingénierie, sciences cognitives. Son originalité est d'essayer d'exploiter ces connaissances de manière coordonnée pour la solution de problèmes pratiques. Ce faisant, elle contribue elle-même à la production de connaissances dans ces domaines et au développement de ces sciences. Leplat souligne qu'elle peut dès lors être considérée comme une des quelques sciences multi- ou trans-disciplinaires qui peuvent réellement contribuer à améliorer le bien-être et les performances des gens, organisations ou sociétés.

L'ergonomie comporte donc une partie théorique qui vise à la compréhension de l'activité humaine et une partie applicative qui vise à l'amélioration de cette activité. Notre travail se focalisera principalement sur la partie théorique : comprendre et produire des modèles qui permettent d'expliquer et prédire le comportement des opérateurs. Cependant nous prenons le terme "comprendre" dans son sens pragmatique, qui considère toute signification comme fondée par un usage final. Cet objectif de compréhension nous amène à nous interroger sur le statut épistémologique du "sujet comprenant", qui est l'ergonome au sein de la communauté scientifique de l'ergonomie. Nous discutons de cet aspect épistémologique au paragraphe 1.2. Ce "sujet comprenant" qu'est l'ergonome porte son étude sur un "sujet agissant" qu'est l'opérateur.