1.1.4. Une approche de la cognition « située » et « écologique »

Dès les débuts de la psychologie scientifique, James énonça le principe qu’il ne pouvait exister d’activité mentale en dehors de tout contexte humain de sa production. L’idée que toute cognition est intimement liée à son contexte d’existence est actuellement largement admise. Comme le soulignent Hollnagel & Woods p60, la notion de "contexte"est consubstantielle à la notion de cognition. “Considering cognition and context together is not only appropriate, it is imperative and therefore in a sense superfluous. To talk about cognition and context - such as contextual or situated cognition - logically implies that there is also cognition without a context, i.e., cognition as pure, abstract, or ethereal process. Since this clearly cannot be the case in an absolute sense, there is strictly speaking no need to talk about context”.

Cette nature intrinsèquement contextualisée de la cognition n’empêche pas de considérer qu’elle possède des caractéristiques générales, qui puissent être mises en évidence et étudiée dans des contextes simplifiés, et rester valides dans de nombreuses situations spécifiques. Elle n’empêche pas non plus de s’intéresser aux capacités humaines de manipulation de symboles, une fois que ceux-ci ont été construits dans le contexte d'une activité. Cette manipulation de symboles peut ensuite être simulée dans un système informatique. Une telle simulation décontextualisée, qui s'exécute sans recours à la signification des symboles, ne constitue pas en elle-même un système cognitif, mais peut jouer le rôle de modèle d'un système cognitif réel.

Wilhelm Wundt, le fondateur en 1879 du premier laboratoire de psychologie expérimentale, exprime cette distinction entre deux approches de la psychologie. D’une part l’étude des lois associatives qui décrivent le fonctionnement de l’intelligence, qui peuvent être étudiées en laboratoire. D'autre part l’étude de la volonté libre et créatrice du sujet, qu’il appréhende par la notion d’aperception. « L’aperception consistant en ce pouvoir volontaire que nous avons d'amener une représentation au point de vision distincte de la conscience et de l'y maintenir » . L’étude de l’aperception consiste en l’étude de l’exercice de la volonté en situation active, et non des comportements passifs en situation réactive de laboratoire.

L’ergonomie cognitive, se rattache à cette approche qui s’intéresse à des activités humaines en situation « écologique », finalisées par une tâche non volontairement conçue à des fins de recherche. Comme le souligne Hoc , les propriétés cognitives qu’elle cherche à mettre en évidence ainsi que les modèles de traitement de la connaissance qu’elle produit, visent à rendre compte de leur caractère finalisé par l’action. Par le choix de son domaine d’intérêt elle se fixe les objectifs et se donne du même coup les moyens d’étudier comment les actes et les connaissances manipulées par le sujet prennent sens pour lui dans le contexte de son activité.

Ce parti pris de l’ergonomie cognitive d’étudier la cognition « in vivo » la rapproche du courant de la "cognition située". Ce courant des sciences cognitives propose l’idée que la construction du sens par un sujet puisse être comprise par l’étude de son activité située dans son environnement. Selon Clancey , le vécu subjectif d’une personne ne peut pas être réduit à sa simple activité cérébrale : “What is experienced by a person and viewed by an observer [..] is the ongoing product of a coupled causal relation, such that the entity being studied and its context (whether neurological, conceptual, physical-artifactual, interpersonal, or ecological) are shaping each other in a complex system”.

En reconnaissant que le vécu subjectif d’une personne a quelque chose à voir avec son incarnation dans une situation finalisée, cette approche soulève des questions sur la nature même de la connaissance. Ce sont des questions d’ordre épistémologique que nous discutons au paragraphe 1.2.