1.1.5. L’analyse de l’activité

L’activité se définit intuitivement par « ce qui se fait dans une situation particulière » , p26. Pour préciser les termes, l’ergonomie la distingue traditionnellement de la tâche comme l’exprime Ombredane & Faverge , p2 : « Deux perspectives sont à distinguer dès le départ dans une analyse du travail : celle du quoi et celle du comment. Qu’est ce qu’il y a à faire et comment les travailleurs qu’on considère le font-il ? D’une part la perspective des exigences de la tâche et d’autre part, celle des attitudes et séquences opérationnelles par lesquels les individus observés répondent réellement à ces exigences. » L’activité se distingue d’un phénomène purement physique par le fait qu’elle est produite par un opérateur qui poursuit une certaine intention. Dans cette perspective, Leontiev la caractérise comme étant composée d’un sujet (une personne ou un groupe), d’un objet (qui lui donne une orientation consciente et spécifique, et derrière lequel se trouve nécessairement un besoin ou un désir que l’activité doit permettre d’atteindre), d’actions (qui correspondent aux processus structurés par les buts conscients) et d’opérations (les moyens non conscients mis en œuvre par l’atteinte d’un but conscient).

Par définition, toute activité se déroule au cours du temps, c’est un processus dynamique. Du point de vue de l'opérateur, son environnement lui-même lui apparaît souvent comme un environnement dynamique, c'est-à-dire susceptible d’évoluer par lui-même sans intervention de sa part. Il est vrai que dans certains cas, par certains aspects, on peut définir des situations statiquesqui n’évoluent pas sans action de l'opérateur, par exemple l’usage d’un système informatique dont chaque évolution apparaît à l’opérateur comme une conséquence directe et attendue d’une action sur le clavier ou la souris. Mais dans le cas général, l’activité apparaît comme le contrôle d’une situation dynamique par un sujet intentionnel ; la situation apparaissant comme dynamique au sujet par les aspects qui concernent ses intentions. Ainsi, selon Clot , l'activité « est loin d’être la simple et libre manifestation des intentions d’un sujet mais plutôt la médiation entre les attendus génériques de l’action et les inattendus du réel. »

La difficulté pour un ergonome qui observe à la fois l'opérateur et son environnement, réside dans la difficulté de comprendre la pertinence pour l'opérateur, à la fois de ses actes et de l’évolution de la situation. Pour cette compréhension, Hoc , p224, souligne le rôle central des objets informationnels comme médiateurs entre le monde et l'activité mentale. Il définit l’objet de l’analyse de l’activité comme étant l’interaction entre les éléments de l’environnement et la dynamique des activités mentales de l'opérateur.

Parce que toute activité est toujours l’activité d’un opérateur intentionnel, elle ne peut pas être ramenée à un simple flux temporel de tous les mouvements de cet opérateur et de toutes les évolutions de son environnement. Ces mouvements et ces évolutions ne peuvent être appréhendés que par rapport à des intentions. L’activité est constituée intrinsèquement de ce qui est pertinent, pour l'opérateur lui-même, par rapport à ses propres intentions, dans ce flux d’évolution. Nous proposons donc la définition suivante de l’activité :

L'activité est un flux temporel des aspects pertinents pour un opérateur,
de son comportement et de l’évolution de son environnement.

Définir ainsi l’activité revient à la reconnaître comme un objet des sciences humaines, et non comme un phénomène physique qu'il s'agirait de mesurer. C’est se placer dans un cadre scientifique qui reconnaît d’emblée un statut de "sujet connaissant" à l'opérateur.

Pour un ergonome, comprendre l’activité d’un opérateur c’est comprendre le flux temporel de ses comportements et de l’évolution de son environnement, en ce qu’il a de pertinent pour cet opérateur lui-même. Cette compréhension part naturellement d'une observation de l'activité. L'observation se doit d’être la moins intrusive possible de façon à perturber le moins possible l’activité. Elle peut être menée de manière très ouverte ou en se focalisant sur certaines catégories d’information avec des objectifs précis, on parle alors d’observations systématiques . Conformément à la notion même d’activité que nous venons de proposer, la méthodologie d’observation en ergonomie vise à se centrer sur ce que fait l’opérateur, ses actions, son fonctionnement, ses intentions, ce qui est significatif pour lui, à partir de la manière dont il agit face à la tâche. Le but est de permettre à l'ergonome de comprendre les modes de fonctionnement de l’opérateur, sa manière de gérer la diversité et la variabilité des éléments de la situation qui sont pertinents pour atteindre les buts qu’il s’est fixés et son mode d’organisation (actions, prises d’informations, gestion du temps…).

Cette question de la pertinence pour l'opérateur devient alors une question clé : comment l'ergonome peut-il savoir ce qui est pertinent pour l'opérateur ? Cette question nous renvoie à un deuxième niveau de difficulté épistémologique. Il ne s'agit plus seulement de savoir ce qu'est une connaissance connue par un "sujet connaissant". Il s'agit de savoir comment un "sujet connaissant" qui est ergonome, peut construire une connaissance scientifique à propos de ce que connaît un second "sujet connaissant" qui est opérateur.