1.2.2. Les réponses classiques en sciences humaines

1.2.2.1. Exprimer l’observation dans le langage de la théorie

Traditionnellement, l’ergonomie cognitive répond au problème de l’objectivité de ses observations par l’adoption d’une méthodologie pragmatique. Ericsson & Simon dans Protocol Analysis, p274, expriment cette position d’une manière très claire. Ils prennent acte que toute observation est imprégnée d’une théorie. La décision de choisir quelles données sont pertinentes pour tester une théorie, est dépendante de la théorie. L’observation est faite par des instruments qui sont conçus avec des théories. La théorie est intrinsèquement présente dans la collecte de données.

Malgré cela, leur réponse est de chercher à garder la plus grande distance possible entre les données et la théorie, de façon que les données puissent être utilisées pour tester les théories avec le minimum de biais : « In designing our data-gathering schemes, we make minimal essential theoretical commitments, then try to use the data to test stronger theories. » (p274).

Coombs parle de science dirigée par la théorie ("theory-driven"). Cette approche scientifique débute le cycle par une théorie qui existe avant toute collecte de données. La théorie délimite quel aspect d’une observation potentielle doit être enregistré et devient disponible pour les traitements. Les informations potentielles en dehors des limites seront ignorées. Mais Ericsson souligne que l’investigation scientifique peut également être dirigée par les données ("data-driven"). Il insiste sur le fait que la théorie ne devrait pas empêcher les scientifiques de s’ouvrir aux nouveaux phénomènes rencontrés accidentellement. Il rappelle que beaucoup de découvertes scientifiques importantes ont été faites de cette façon, avec peu de guidage initial et peu de discipline par rapport à la théorie. Soulignant que dans la pratique, aucune recherche scientifique n’est totalement "theory-driven" ni totalement "data-driven", il défend une voie médiane. Cette voie consiste à collecter des observations brutes, puis, dans un deuxième temps, à les mettre en relation ("mapping") avec le langage de la théorie : « Si la théorie est suffisamment souple, cela permettra l’expression d’hypothèses alternatives ». Il propose de réserver le terme "données" ("data") pour désigner le résultat de ce processus de mise en relation qui encode les observations brutes dans le langage de la théorie. Par exemple, l’observation brute peut être un compte rendu d’entretien ou un enregistrement vidéo ou audio. Les données, selon Ericsson, seront le résultat d’un processus d’encodage, selon une grille construite pendant l’analyse et issue de la confrontation des observations et de la théorie.