2.2. Le cadre de la psychologie cognitive

2.2.1. Introduction philosophique

2.2.1.1. La question de la conscience

En principe, la question de la conscience relève de la philosophie plutôt que de la psychologie. Du moins, la conscience au sens transcendantal du terme, c'est-à-dire au sens de "être conscient" ("consciousness" en anglais) plutôt que "avoir conscience de" ("to be aware of", en anglais). Cependant cette question est présente, de manière récurrente, en arrière fond de toute science de l’esprit. Pour Ey , « dire d'un être qu'il sent, qu'il perçoit, qu'il se souvient de quelque chose, qu'il prépare une action ou qu'il se sent ou se sait être quelqu'un qui dirige son existence vers telle ou telle fin, c'est toujours et nécessairement dire qu'il est conscient ». Pourtant, la question de la conscience ne semble pas admettre, à l’heure actuelle, de réponse qui fasse consensus au sein de la communauté scientifique. On retrouve à ce propos souvent cité le commentaire de Sutherland dans son dictionnaire de psychologie : « Consciousness is a fascinating but elusive phenomenon; it is impossible to specify what it is, what it does, or why it evolved. Nothing worth reading has been written on it. » Le concept de conscience apparaît pourtant étroitement lié à d’autres concepts avec lesquels nous sommes amenés à travailler et que nous devons approfondir : les concepts de connaissance, de représentation, d’information, de compréhension, d’implicite et d’explicite. C'est peut-être parce que la notion même de conscience reste insuffisamment définie, que ces concepts qui en découlent donnent encore lieu à de multiples débats. Par exemple le bienfondé d'utiliser le concept de représentation en sciences cognitives est encore régulièrement questionné . Face à cette incertitude, nous ne pouvons guère que situer notre travail par rapport à ces concepts sans en apporter une explication complète.

En ce qui concerne la psychologie cognitive, celle-ci inclut souvent la conscience dans ses modèles comme une boîte noire qui supervise les autres composants du modèle. Par exemple la boite "centre exécutif" dans les modèles de Baddeley ou de Cowan que nous présenterons au paragraphe 2.2.3 ; ou les boites "compréhension" et "attention" dans le modèle d'Endsley, paragraphe 2.2.6. Les perceptions, les informations, les décisions sont considérées en rapport à une conscience qui leur donne sens, mais qui est posée dans le modèle sans que son fonctionnement ne soit éclairci.

En ce qui concerne la simulation cognitive par des outils informatiques, celle-ci vise à reproduire de manière automatisée des traitements de données qui n'ont valeur de symboles que pour le scientifique qui les regarde. Elle ne vise en aucun cas à créer un système artificiel conscient, ni à reproduire un traitement conscient d'une information signifiante.

En ce qui concerne les systèmes d’ingénierie des connaissances, ceux-ci se déploient pour et par la conscience de leurs utilisateurs. Les ordinateurs que nous connaissons ne sont bien sûr aucunement conscients et les inscriptions de connaissance qu’ils manipulent ne prennent valeur de connaissances que pour celui qui les regarde.

L'explication de la conscience est malgré tout un thème de recherche scientifique en plain essor, soit sous l'angle de la biologie , soit sous l'angle de la vie artificielle , ou de la robotique . Nous discuterons les apports possibles de notre travail pour ces domaines de recherche au paragraphe 7.2.3.2.

En ce qui concerne notre positionnement en ergonomie, nous avons vu qu’il impliquait deux consciences : celle de l'opérateur et celle de l’ergonome. Nous étudions la première, celle de l'opérateur, en la considérant "de l'extérieur". Pour cela nous prenons le rôle de l'ergonome qui explique l’activité comme étant le résultat d’un contrôle conscient de la part d’un opérateur. L'ergonome propose la notion de conscience comme une explication pragmatique de l'activité. Ce faisant, il reconnaît à l'opérateur le statut de sujet de l’activité. La seconde conscience, celle de l'ergonome, est la conscience qui donne sens aux connaissances que nous produisons en ergonomie. Dans notre travail, nous nous y intéressons "de l'intérieur", c'est-à-dire qu'il s'agit de notre conscience, quand nous prenons le rôle de l'ergonome. Mais dans la partie informatique de notre travail, nous adoptons une position de recul par rapport à elle, pour discuter comment l'ergonome, peut construire de la connaissance en interaction avec notre système informatique. Par souci de clarté nous distinguerons tout au long de notre travail ces deux points de vue sur la conscience, car nous leur appliquerons des positionnements théoriques différents. Nous proposerons au paragraphe 7.2.1 une synthèse de ces deux approches.