2.2.4. Les représentations mentales dans les activités dynamiques

Etudier les représentations mentales dans le paradigme de la psychologie cognitive revient à étudier la notion de représentation (au sens "philosophique" du paragraphe 2.2.1.2), comme des constructions d'informations dans la mémoire humaine dont nous avons introduit la structure au paragraphe 2.2.3. L'étude de la façon dont ces représentations sont construites correspond à l'étude "fonctionnelle" de la cognition humaine. Cette étude est centrale en psychologie cognitive, elle la fonde pour ainsi dire par opposition au behaviorisme.

Les représentations mentales regroupent l'ensemble des informations prises en compte par le sujet pour la gestion de la situation courante. Richard, Bonnet & Ghiglione les qualifient de constructions circonstancielles faites dans un contexte particulier et à des fins spécifiques. Il les associe d'un point de vue fonctionnel à la notion de "mémoire opérationnelle" . Le terme de "mémoire opérationnelle" désigne dans ce sens la mémoire des informations utilisées pour la gestion de la situation courante. C'est une notion fonctionnelle qui peut reposer sur les différents types structuraux de la mémoire humaine présentés au paragraphe précédent. Cette notion de représentation ne doit pas être confondue avec les connaissances en mémoire à long terme, qu'on trouve chez certains auteurs également désignées sous le terme de "représentation", "représentation-types" ou "structures permanentes". Comme Richard , nous réserverons le terme "représentation" pour désigner les représentations de la situation occurrente, et utiliserons le terme "connaissance" pour désigner le contenu de la mémoire à long terme. Cette distinction apparaît cependant moins nette si on adopte un modèle de la mémoire du type de celui de Cowan. Dans ce cas, la représentation mentale est vue comme l'activation de connaissances préalables qui sont reconnues dans la situation courante.

La psychologie cognitive propose donc de décrire les représentations mentales comme des structures d'informations. Mais sous cet angle, les représentations courent le risque de ne plus être comprises comme médiatrices de la réalité auprès de la conscience du sujet. Dans les modèles de psychologie cognitive, la conscience est reléguée au second plan alors que la représentation devient centrale sous la forme d'une structure de données. Il devient possible de raisonner sur ces données, de leur appliquer des règles et des calculs. Finalement, il serait tentant d'expliquer les comportements par le résultat de calculs réalisés à partir de cette structure de données, en oubliant que c'est la conscience du sujet qui leur donne sens. Au contraire, le but est que ces données expriment le mieux possible ce qui fait sens pour le sujet.

Pour clarifier les choses, nous tenons à nous ramener ici à notre cadre de l'ergonomie cognitive dans lequel nous avons distingué les rôles de l'ergonome et de l'opérateur. L'ergonome explique l'activité comme étant contrôlée par un opérateur doué de capacités cognitives. Par exemple, l'ergonome explique que le sujet a tourné à droite parce qu'il voulait aller à droite et que, dans sa représentation de la situation, la voie était libre. Dans cette explication, la question de la présence de cette représentation à la conscience de l'opérateur devient secondaire, il pouvait aussi bien penser à tout autre chose. Pourtant le but de l'ergonome n'est pas d'expliquer l'activité par rapport à n'importe quelle information, mais de l'expliquer par rapport aux informations qui ont un sens pour l'opérateur dans cette situation, par rapport à ses buts. Mais que deviennent les représentations si elles ne sont plus présentes à la conscience du sujet ?

Ces difficultés ont donné lieu à une importante littérature. Nous tentons de rendre compte ici des aspects qui intéressent notre travail d'analyse des activités dynamiques. Une des difficultés majeures est à nos yeux de rendre compte d'une sorte de continuum entre deux pôles. Le premier pôle correspond aux savoir-faire qui sont activés pour faire face à la situation sans que l'opérateur n'en ait directement conscience. Le deuxième pôle correspond aux représentations explicites pour l'opérateur. Ces représentations explicites ont, pour lui, valeur de symboles d'éléments de la réalité objective. Ces deux pôles sont liés par le fait que l'opérateur attribue une signification aux symboles en vertu des savoir-faire qui permettent leur utilisation.

Ochanine parle d'image opérative pour désigner le fait que, parmi toutes les données présentées qui constituent l'ensemble de la tâche à traiter, l'opérateur ne retiendra que les données utiles pour réaliser son travail. Ainsi l'image opérative est finalisée (créé par et pour l'action), laconique (seules les informations pertinentes sont incluses), et déformée fonctionnellement (les informations les plus importantes pour la tâche sont accentuées).

Minsky et Schank & Abelson parlent de "frame" et de "schéma" pour représenter l'organisation des connaissances en mémoire et exprimer comment ces connaissances sont utilisées pour comprendre, mémoriser et faire des inférences. Nous développons davantage ces concepts au paragraphe 2.2.5

Richard distingue : a) les représentations propositionnelles qui expriment les structures prédicatives caractéristiques du langage, lesquelles sont à la base de sa fonction majeure de communication et de transmission d'information. b) les représentations imagées qui expriment les structures spatiales caractéristiques de la perception visuelle. c) les représentations liées à l'exécution des actions, et reposant donc en grande partie sur la sensori-motricité : elles expriment prioritairement les enchaînements, les transformations et successions d'états et constituent donc une forme d'expression privilégiée des structures temporelles.

Weill-Fassina, Rabardel & Dubois parlent de "représentations pour l'action" en insistant sur le fait qu'elles sont à la fois des processus et des produits. En tant que processus, elles sont des savoir-faire qui vont déterminer l'activité de l'opérateur. Elles s'inscrivent dans une dynamique qui implique des transformations de l'opérateur lui-même. En tant que produit, elles désignent des réseaux de propriétés, de concepts, de croyances, de sensations éprouvées. Endsley a théorisé le concept de "conscience de la situation" (Situation Awareness). Cette notion est assez englobante et de plus en plus souvent utilisée pour rendre compte du traitement des situations dynamiques. Nous la développons au paragraphe 2.2.6.