2.3. La Simulation cognitive

2.3.1. Introduction

La simulation cognitive avance d'un pas supplémentaire dans le projet des sciences cognitives qui vise à décrire le fonctionnement de l'esprit humain comme un système de traitement de l'information. Ce champ de recherche provient de la convergence entre les disciplines issues des domaines de l’informatique désignées sous le nom d'ingénierie de la connaissance (Knowledge Engineering), avec l’ergonomie cognitive issue des sciences humaines . C'est un champ de recherche par nature trans-disciplinaire qui implique une collaboration étroite entre des psychologues et des informaticiens, comme par exemple au Lescot. Nous présentons ici la simulation cognitive pour trois raisons :

  • Elle intègre en elle-même des connaissances sur l'architecture cognitive de l'être humain. Nous exploitons ces connaissances dans nos analyses de l'activité du chapitre 6 et nous les rediscutons au chapitre 7.
  • Elle positionne notre travail dans une perspective de recherche plus vaste, par le fait que les modèles de l'activité que nous cherchons à construire visent, à terme, à être implémentés sous la forme de simulation cognitive.
  • Elle permet de mieux saisir le paradigme du traitement de l'information pour la modélisation de l'opérateur.

Au paragraphe 2.2, nous avons montré que la psychologie cognitive proposait une théorisation de l'architecture structurelle et fonctionnelle de l'esprit humain. Cette théorisation repose globalement sur l'idée de concevoir les représentations mentales comme des structures d'informations, mais sans encore en préciser la forme exacte. La simulation cognitive vise à décrire ces structures d'informations sous la forme de structures de données qui puissent être stockées et manipulées par des ordinateurs. En informatique, une "structure de données" peut se définir comme un ensemble de variables, qui peut être manipulé en tant que tel, par l'ordinateur. Ces variables peuvent prendre des valeurs numériques ou paramétriques. L'ordinateur pourra les traiter en tant qu'ensemble, leur appliquer des règles de calcul, et produire à partir d'elles des "affichages à l'écran" qui pourront être interprétés par l'ergonome.

Décrire les représentations mentales par des structures de données informatiques, revient alors à spécifier les différentes variables qui seront incluses dans ces structures de données, et à spécifier l'architecture qui les organisera. Tout l'intérêt de la simulation cognitive vient du fait qu'on pourra simuler la façon dont l'esprit humain "manipule" les représentations mentales. Cette simulation prendra la forme de calculs effectués par l'ordinateur sur ces structures de données.

Pourtant, cette étape supplémentaire dans la formalisation des représentations mentales entraîne le risque de perdre leur dimension intrinsèquement signifiante. Par exemple, un ergonome expliquera qu'un conducteur a tourné à gauche parce que son but était d'aller à gauche et que dans sa représentation de la situation, la voie était libre. A minima, l'ergonome pourrait construire une simulation dans laquelle la représentation de la situation est une structure de deux variables : la variable "But" qui vaudra "Gauche" et la variable "Voie" qui vaudra "Libre". Son modèle cognitif contiendra une règle : "Si But=Gauche et Voie=Libre alors tourner à gauche". Les termes "Gauche" et "Libre" symbolisent pour l'ergonome un état de la situation. C'est donc pour l'ergonome qu'ils ont une valeur symbolique et non pour l'opérateur lui-même. La structure de données est une description par et pour l'ergonome de la représentation mentale que l'opérateur est supposé avoir de la situation. Cela ne signifie pas que l'opérateur aie mentalement appliqué cette règle pour réaliser cette action, ni même qu'il utilise une forme de symboles "Gauche" et "Libre" pour représenter ces éléments de la situation. En situation réelle, le sujet peut, ou non, réaliser cette action en fonction d'un nombre potentiellement infini d'éléments que l'ergonome ne peut pas, a priori, inclure dans un modèle. Les modèles de simulation cognitive n'ont donc pas pour vocation de créer un "opérateur artificiel" pleinement capable de réaliser l'activité. Mais leur but est de réaliser des simulations qui rendent compte de la manière la plus approchante possible des informations qui ont un sens pour l'opérateur et de la façon dont il les utilise pour réaliser son activité.

Ainsi, en choisissant de décrire la représentation mentale de l'opérateur par cette structure de données, l'ergonome prétend que les notions de "But Gauche" et "Voie Libre" ont un sens pour l'opérateur dans le cadre de sa propre activité. Par quel processus l'ergonome peut-il parvenir à l'affirmer ? C'est en apportant des réponses à cette question que nous apporterons une contribution au champ de recherche de la simulation cognitive.