2.4.5.1. Simulation cognitive de haut niveau

La modélisation cognitive de haut niveau du conducteur automobile est une tâche difficile, ce qui explique sans doute que peu de modèles aient été réalisés. Par comparaison avec la modélisation de l'utilisateur d'un système informatique, cette difficulté ne semble pas tant venir de la complexité des actions possibles pour l'opérateur, mais plutôt de la complexité des situations dans lesquelles il est plongé. Alors que la situation de l'utilisateur d'un système informatique peut se réduire à ce qu'il voit à l'écran (qui est par définition connu par le système), la situation du conducteur automobile est extrêmement complexe, et variable. Dans ces conditions, construire une théorie des représentations mentales que se fait le conducteur est une tâche ambitieuse.

Des modèles de haut niveau ont pourtant été réalisés, pour étudier l'ergonomie de systèmes embarqués ou pour réaliser des micro-simulateurs de traffic. Pettitt, Burnett & Karbassioun proposent un modèle réalisé avec Goms qui permet de prédire les performances d'un utilisateur de système informatique pendant la conduite automobile. Malec & Per ont proposé un modèle basé sur les frames, orientés vers la conception d'un assistant de conduite automatique. Algers et al. puis Krajzewicz, Kühne & Wagner proposent une revue des modèles applicables aux micro-simulateurs de trafic, c'est-à-dire des simulateurs intégrant les comportements individuels de chaque véhicule. Dans ce cadre on peut citer Acme .

Au Lescot, Bellet propose une architecture de simulation cognitive dédiée à la conduite automobile : Cosmodrive (COgnitive Simulation Of the DRIVEr) , . Cosmodrive s'apparente à un framework de haut niveau dans la mesure où il offre un cadre pour simuler des activités particulières, toutefois il est restreint à la conduite automobile. Par cette spécificité, il propose une architecture pour formaliser les modèles cognitifs du conducteur automobile que nous pourrions construire dans notre approche. Nous le présentons donc ici de manière plus détaillée.

La Figure 18 montre son architecture générale qui repose sur sept modules :

Figure 18 : Architecture de Cosmodrive, (Bellet 1998)

(1) Strategique  : planification et réalisation de l’itinéraire.
(2)
Tactique  : Gestion de la situation courante dans le trafic.
(3)
Operationnel  : planification des tâches élémentaires de conduite et détection des risques d’accident.
(4)
Gestion D’urgence  : contrôle de l’activité de conduite en cas de situation critique.
(5)
Perception  : traitement des données sensorielles.
(6)
Execution  : réalisation de tâches de conduite.
(7)
Controle et Gestion  : répartition des ressources entre les agents cognitifs.

Le module tactique représente le siège de la prise de conscience de la situation par le conducteur. En termes informatiques, il réalise l’instanciation du frame tactique. Celui-ci peut être défini comme une structure de connaissance potentiellement déployable et adaptable en fonction de la situation courante pour donner naissance à la représentation tactique courante, au schéma de conduite courant (représentation opérationnelle de la situation) et aux représentations anticipées. Le module tactique est conçu comme un système multi-agents. Ceux-ci traitent en parallèle des données qu’ils échangent par l’intermédiaire de "tableaux noirs".

Figure 19 : Le module tactique de
Figure 19 : Le module tactique de Cosmodrive, (Bellet 1998)

Le module tactique se compose de 2 tableaux noirs, 3 bases de connaissance et 5 agents cognitifs :
Le tableau noir état courant : c’est là que se construit le schéma de conduite de la situation courante.
Le tableau noir anticipation : Il contient les représentations anticipées générées à partir de la représentation courante.
La base de catégories d’environnements routiers : elle contient les connaissances sur les environnements routiers organisées hiérarchiquement.
La base de schémas de conduite : ensemble des schémas de conduite connus par le conducteur
La base de lieux familiers : ensemble de lieux connus par le conducteur.
Le processus de catégorisation : détermine la catégorie d’environnement routier applicable.
Le processus de reconnaissance de lieux : identifie des lieux connus.
Le processus générateur de représentation tactique courante : Il réalise l’instanciation du schéma de conduite.
Le processus anticipation : établit les futurs possibles en construisant des représentations anticipées.
Le processus décision : effectue un choix parmi les futurs possibles

La notion de frame tactique peut être illustrée par l’exemple de tourner à gauche dans un carrefour à feux :

Figure 20 : Frame du tourne à gauche dans carrefour à feux, (Bellet 1998)
Figure 20 : Frame du tourne à gauche dans carrefour à feux, (Bellet 1998)

La mise en œuvre de ce schéma a fait l'objet de simulations informatiques dynamiques en trois dimensions par Mayenobe , illustrées à la Figure 21.

Figure 21 : Simulation de schéma tactique, (Mayanobe 2003)
Figure 21 : Simulation de schéma tactique, (Mayanobe 2003)

Le schéma tactique du "tourne à gauche" est encore le seul qui ait été formalisé au Lescot dans le cadre du projet Cosmodrive. Pour formaliser de nouveaux schémas tactiques, l'ergonome doit pouvoir comprendre les mécanismes cognitifs mis en œuvre par le conducteur, comme nous l'avons présenté au chapitre 1. Dans sa présentation de Cosmodrive, Bellet exprime le besoin d'outils informatiques associés à Cosmodrive pour permettre la production de nouveaux schémas à partir de données comportementales recueillies dans des expérimentations de conduite. Notre travail vise à répondre à ce besoin, et s'inscrit ainsi dans le champ de recherche sur la simulation cognitive du conducteur automobile du Lescot.