2.4.7. L'exemple des changements de voie sur autoroute

L'exemple des changements de voie sur autoroute est une situation qui illustre bien les différents aspects de l'activité de conduite automobile. Il combine les deux niveaux de contrôle opérationnel et tactique. Il peut aussi impliquer le niveau stratégique, par exemple pour la prise en compte des sorties d'autoroute ou le choix de doubler motivé par le fait d'être en retard. Il implique la prise d'information, la prise de décision et l'exécution d'une séquence d'action plus ou moins définie. Cette séquence d'action a été décrite par McKnight & Adams comme commençant par un "motif" de changer de voie, par exemple un véhicule lent devant ; suivie d'une collecte d'information sur la situation de trafic environnante, puis de la prise de décision de changer de voie ou non.

Par ailleurs, l'étude du changement de voie peut contribuer à la mise au point de systèmes intelligents d'assistance à la conduite tels que le "Lane Departure Warning System" (LDW) qui prévient le conducteur s'il quitte sa voie. Le but recherché est qu'un tel système ne déclenche pas d'alarme en cas de changement de voie voulu par le conducteur.

Plusieurs sources de données peuvent classiquement être utilisées pour inférer l'intention du conducteur de changer de voie. Il y a les données du véhicule, par exemple le clignotant est l'indicateur le plus naturel. Cependant le clignotant n'est pas utilisé dans toutes les situations de changement de voie. Dans une étude en situation naturelle, Olsen rapporte que les conducteurs ne l'utiliseraient que dans 65% des cas. D'autres indicateurs peuvent être l'angle du volant ou l'accélération, qui ont été utilisés par Liu & Pentland . Une deuxième source de données provient de l'environnement externe . Le trafic environnant, la position sur la voie, la position géographique peuvent avoir un pouvoir indicatif sur l'intention de changer de voie. Troisièmement, le conducteur lui-même peut servir d'indication. En particulier, les directions des regards ont été étudiées par Henning, Schweigert., Baumann & Krems .

De nombreuses méthodes d'analyse différentes ont été appliquées aux changements de voie. Liu & Pentland , Oliver & Pentland ont utilisé la méthode des chaînes de Markov Cachées appliquée aux données véhicule (vitesse, accélération, frein, embrayage, volant) et aux mouvements du regard. McCall, Wipf et al. ont utilisé des réseaux bayésiens. Ces derniers se sont basés sur la position de la pédale d'accélérateur, de frein, l'accélération longitudinale, la vitesse du véhicule, l'angle volant, l'accélération latérale, la courbure de la route, la distance de suivi, la position latérale, et les mouvements de la tête. Ils ont utilisé les données réelles de trois sujets et ont obtenu une précision de 95% de prédiction et 5% de fausse prédiction. Enfin Salvucci propose une approche basée sur des modèles cognitifs réalisés avec ACT-R. Il rapporte un taux de prédiction de 85% et 4% de fausses détections en utilisant des informations du véhicule, de l'environnement et du conducteur sur simulateur de conduite.

En pratique, ces tentatives de construire des algorithmes prédictifs du changement de voie, s'avèrent insatisfaisantes en situation réelle, car elles souffrent d'un trop petit échantillon de sujets ou ont été réalisées sur simulateur. Il n'existe pas à notre connaissance d'études réalisées en situation réelle qui aient montré des taux de prédictions satisfaisants.

Enfin il n'existe pas d'étude basée sur une démarche d'expertise exploratoire qui vise à produire des modèles de comportement de changement de voie à partir de données d'observation collectées en situation réelle. Les approches cognitives existantes posent des modèles cognitifs comme des successions de phases définies a priori, et cherchent dans un deuxième temps à trouver des indicateurs de transitions entre ces phases dans les données. L'étude de Salvucci & Liu porte bien sur différents paramètres : la distance au bord de voie, l'angle volant, les regards, l'accélérateur, mais il calcule des moyennes de chaque source de données avant de proposer des schémas. Il ne peut donc proposer qu'un schéma moyen et n'a pas les outils nécessaires pour catégoriser des schémas à partir des données. Les approches statistiques, quand à elles, n'ont que pour but de faire apparaître ces phases automatiquement, c'est-à-dire "en aveugle", sur la base de connaissances expertes introduites a priori.