2.5. Conclusion : problématique en ergonomie

La psychologie cognitive a pour projet de décrire l'activité mentale avec le paradigme du traitement de l'information. La difficulté de cette approche réside dans le fait de savoir quel "sujet connaissant" accorde une signification à cette information. Décrire la représentation de la situation courante de l'opérateur comme une structure d'information dans son esprit pose le problème de savoir qui donne sens à cette structure d'information. Cela renvoie à un "homoncule" dans l'esprit de l'opérateur qui serait capable de comprendre cette représentation. Cet "homoncule" devrait alors se faire une représentation de la représentation de l'opérateur, ce qui renvoie à une récursivité infinie. Pour sortir de cette récursivité, l'idée générale consiste à ne pas dissocier la représentation d'un "savoir-faire" qui permet son utilisation dans un contexte donné. Cette idée renvoie à une épistémologie pragmatique selon laquelle la signification d'une information nait de l'usage qui peut en être fait. Elle conduit à proposer les notions de "représentations pour l'action" ou de "schémas" qui regroupent de manière indissociable la représentation et le savoir-faire contextualisé. Ces notions s'avèrent particulièrement appropriés en ergonomie cognitive, car celle-ci s'intéresse à l'aspect dynamique d'activités en contexte naturel. Nous nous fonderons donc sur ces notions pour étudier le conducteur automobile, et en particulier sur la notion de schéma de conduite tactique.

Dans notre état de l'art de la modélisation du conducteur automobile, nous avons illustré les différentes approches qui pouvaient être envisagées. Ces approches nous apportent un point de départ précieux pour notre travail. Les modèles de type contrôle / commande nous apportent des indications sur les différentes variables qui doivent être observées pour comprendre l'activité de conduite du point de vue du conducteur. Les études cognitives nous apportent un cadre de modélisation des comportements tactiques, par la notion de schémas de conduite. Les approches de catégorisation mathématique nous enseignent qu'il est envisageable d'implémenter des mécanismes de reconnaissance automatique des situations de conduite, a posteriori mais aussi en temps réel, pour peu que ces mécanismes intègrent une expertise provenant des ergonomes.

Cet état de l'art nous permet de nous situer dans la perspective de recherche du Lescot sur les comportements tactiques du conducteur, dans le cadre théorique général du projet Cosmodrive. Ce positionnement s'intéresse à produire des simulations cognitives de haut niveau, par opposition aux simulations de bas niveau qui peuvent être produites par exemple avec ACT-R. Ce haut niveau correspond au même niveau que celui de la compréhension que le conducteur lui-même se fait de sa propre activité. De ce fait, les modèles produits peuvent être confrontés aux propres déclarations du conducteur. Nous pouvons finalement formuler notre objectif général dans le domaine de l'ergonomie cognitive de la conduite automobile :

Ces éléments signifiants ne sont pas nécessairement traités consciemment par le conducteur pour réaliser l'activité. Ils peuvent être simplement constitutifs de schémas mis en œuvre de manière plus ou moins automatisée. En nous basant sur la notion de schéma en psychologie cognitive nous pouvons alors formuler notre objectif de manière plus concrète :

Notre discussion épistémologique du chapitre 1 nous a permis de clarifier cet objectif en dissociant le point de vue de l'ergonome et le point de vue de l'opérateur. Un schéma tactique est une connaissance active de l'opérateur qu'il met en œuvre pendant son activité. L'ergonome cherche à construire une connaissance en ergonomie à propos de cette connaissance de l'opérateur. Inférer les états et processus cognitifs d'autrui est quelque chose que chacun de nous fait en permanence dans sa vie de tous les jours, mais l'ergonome le fait dans une démarche scientifique. Pour cela il met en œuvre une méthodologie que nous allons passer en revue au chapitre 3.