4.1. L’apport de l’ingéniérie des connaissances

4.1.1. Introduction à l'ingénierie des connaissances

Nous examinons ici comment l'informatique peut nous aider à construire des modèles cognitifs de l'activité de conduite. Nous avons vu que ces modèles cognitifs sont des connaissances à propos de la façon dont le conducteur traite mentalement les informations utiles pour son activité. Nous avons vu également que ces connaissances sont par nature construites et comprises par un ergonome. Nous avons introduit au paragraphe 1.2.3 une réflexion épistémologique sur la façon dont l'informatique pouvait constituer un support pour la construction de ces connaissances. Nous développons ici plus précisément comment ce support peut être mis en place, c'est le domaine de l'ingénierie des connaissances. A l'éclairage de cette réflexion épistémologique, le terme "ingénierie des connaissances" (IC) apparaît pourtant impropre. En effet, la connaissance n'est pas un objet matériel sur lequel une ingénierie pourrait avoir prise. Bachimont souligne que le terme IC désigne en réalité plutôt une "ingénierie des inscriptions de connaissances". Selon Bachimont « la connaissance ne peut s’appréhender techniquement, c’est-à-dire via une ingénierie, qu’à travers les inscriptions qui l’expriment ».

Le travail d'ingénierie des connaissances ne vise donc pas directement à produire, stocker ou transmettre de la connaissance mais à concevoir des outils informatiques qui facilitent la production, le stockage, la transmission de connaissance par ses utilisateurs. En pratique, cela signifie qu'on ne peut pas espérer construire un système informatique où il suffirait de cliquer sur un bouton, pour qu'il explique à son utilisateur ce que ses données ont à lui apprendre. Tout au plus pouvons-nous construire un système qui peut soutenir le travail de découverte de connaissance. Mais ce travail devra être dirigé par l'utilisateur.

L'objectif de l'IC est donc (modestement) d'instrumenter le travail intellectuel ou cognitif de l'utilisateur. Pourtant il existe bien une science de l'ingénierie des connaissances. Cette science se réfère à une connaissance sur la façon de concevoir des systèmes d'ingénierie des connaissances : la recherche en IC consiste à inventer de meilleurs systèmes d'IC. Comme le souligne Bachimont, cette science n'est pas une science purement formelle qui serait une simple branche de la logique proposant des techniques de manipulation de symboles. Elle intègre intrinsèquement une dimension de science humaine, puisqu'elle porte aussi sur la façon dont ces symboles peuvent être interprétés par l'utilisateur. Cela conduit Bachimont à formuler une définition de l'IC que nous pourrons adopter ici :

‘« L’ingénierie des connaissances est une technique des inscriptions formelles et une critique de leur interprétation. »’

Le terme "critique" étant pris dans son sens étymologique, (du grec kritikos, krinein : juger comme décisif) c'est-à-dire une activité de l’esprit consistant à repérer et déterminer les facteurs décisifs et intelligibles.

Les systèmes d'IC doivent permettre d'articuler les techniques formelles de manipulation syntaxique avec leur interprétation. Pour cela, ils doivent permettre de repérer les écarts entre un sens strict des symboles (qui serait issu d'une connaissance exacte des calculs qui les produisent) et un sens induit (produit lors de l'utilisation du système par un utilisateur qui n'en connaît pas tous les calculs, et qui se base, par exemple, sur des libellés exprimés dans le langage naturel, ou sur le contexte d’apparition de ces symboles). Pour cela, les systèmes doivent expliciter les normes d'interprétation, c'est-à-dire préciser à l'utilisateur comment il doit aborder les situations concrètes d'utilisation. Ils doivent aussi permettre d'inscrire les écarts à la norme constatés dans des situations d'usage spécifiques. En effet les écarts à la norme n'invalident pas le système mais permettent de l'enrichir de nouveaux cas d'utilisation.