4.1.2. Acquisition des connaissances

Parmi tous les champs d'application de l'IC, notre travail se focalise sur son utilisation pour l'acquisition des connaissances. L'acquisition des connaissances a été identifiée comme une problématique en tant que telle dès le début de l'IC. On parlait alors d'acquisition de connaissances pour les "Systèmes Experts". Ceux-ci visaient principalement à reproduire les comportements des experts d'un domaine. Il semblait alors qu'une des difficultés principales était de "capturer" cette expertise pour pouvoir la modéliser dans le système.

Si l'on appliquait ce paradigme à notre travail, "l'expert" dont il s'agirait de reproduire les mécanismes de traitement de la connaissance serait le conducteur automobile. Le système expert produit serait une sorte de robot conducteur. Mais nous avons vu que ce n'était pas notre objectif, pour des raisons épistémologiques qui ne sont pas sans rapport avec l'abandon relatif des systèmes experts tels qu'ils étaient imaginés dans les années 80.

Au contraire, l'approche actuelle reconnaît que les systèmes informatiques ne manipulent pas de la connaissance mais uniquement des inscriptions destinées à faire sens pour leurs utilisateurs. On ne parle plus de système expert mais de "Système à Base de Connaissances" (SBC). Charlet & Bachimont définissent les SBC comme « des systèmes sémiotiques de manipulation d'inscriptions symboliques, dont le fonctionnement informatique doit permettre à un utilisateur d'interpréter et de comprendre le système dans le cadre de son activité et de ses usages, en utilisant les termes du domaine. »

Les termes du domaine sont dans notre cas les termes qui permettent de décrire l'activité cognitive du conducteur automobile, ces termes sont interprétés par l'utilisateur du système qui est l'ergonome.

Dans ces conditions l'apport des SBC pour l'acquisition de connaissances consiste à offrir à leurs utilisateurs des outils de manipulation de symboles. Ces manipulations sont déterminées par des règles qui peuvent être spécifiées non pas au niveau du programme, mais en tant que propriétés des symboles eux-mêmes.

Ces règles de manipulation de symboles constituent ce qu'on appelle la "sémantique" des symboles. Le terme "sémantique" provient de la linguistique et désigne initialement l'étude du sens des énoncés. La sémantique s'oppose à la syntaxe comme le fond s'oppose à la forme. La communauté informatique a détourné ce terme pour désigner non pas comment un ordinateur "comprend" un symbole, mais comment il "l'interprète", c'est-à-dire quels traitements il peut effectuer en rapport avec lui. La sémantique d'un symbole désigne alors l'ensemble des calculs qui pourront être déclenchés dans l'ordinateur avec ce symbole.

Les systèmes actuels d'IC offrent la possibilité de coder cette sémantique sous forme de propriétés des symboles. Quand l'ingénieur des connaissances définit un symbole dans le système, il peut déclarer sa sémantique, c'est-à-dire spécifier les calculs qui pourront être appliqués à ce symbole. Ces calculs sont ensuite exécutés à la demande par un programme qu'on désigne sous le terme général de "moteur d'inférence". Ainsi le codage de la sémantique, et la programmation du moteur sont des tâches dissociées. Concrètement dans le cas d'un SBC, la sémantique des symboles n'est pas inscrite dans le code exécutable du système informatique, mais dans des structures de données associées au symbole. Cette dissociation, issue de la vision de Newell entre niveau "connaissance" et niveau "symbole" permet de dissocier le travail de modélisation du domaine et le travail de programmation informatique.

Dans notre cas, les connaissances qui sont inscrites dans le SBC ne sont pas les connaissances qui "appartiennent" au conducteur mais les connaissances qui "appartiennent" à l'ergonome à propos du conducteur. Les propriétés sémantiques des symboles visent à exprimer des connaissances de l'ergonome. Elles constituent à la fois une tentative d'explicitation et d'implémentation de son expertise d'interprétation et d'analyse. Toutefois cette implémentation ne réalise pas par elle-même une analyse. Comme le formulent Charlet et Bachimont : « Le calcul produit des résultats que la rationalité de l'interprétation n'anticipe pas forcément. La combinatoire des expressions suggère alors la possibilité de formuler des inscriptions dont l'interprétation renvoie à de nouvelles connaissances ou des connaissances qu'on n'avait jamais pensées auparavant. » C'est de cette façon que les SBT peuvent constituer un support à la production de connaissance : « De même que l'ordinateur ne "voit" pas les images qu'il permet de construire, il ne "pense" pas les nouvelles inscriptions qu'il formule, mais il permet de voir du nouveau comme de penser autrement. »