6.3.4.3. Mise en défaut d'un schéma tactique

Nous présentons dans l' 10 comment nous pouvons avec Abstract rechercher une situation de mise en défaut d'un schéma tactique et l'analyser. Nous avons ainsi retrouvé une erreur commise par le sujet 21 au time code 1661. Nous la présentons ici et renvoyons à cette annexe pour une description de l'analyse de la vidéo et les investigations en termes de traitement de données qui ont été réalisées avec Abstract pour la comprendre. Il s'agit d'une tentative de dépassement d'un véhicule lent (véhicule A) sur le trajet d'autoroute A432 en direction de Saint Exupéry. Le sujet engage une manœuvre de dépassement alors qu'il n'a pas vu un véhicule rapide (Véhicule B) arrivant derrière lui sur la voie de gauche. Il voit ce véhicule dans son rétroviseur au dernier moment et se rabat brusquement vers la droite pour le laisser passer. Ensuite, il freine pour ne pas entrer en collision avec le véhicule A, avant de reprendre une nouvelle procédure de dépassement. D'un point de vue psychologique, on peut parler d'une erreur de conscience de la situation puisque le sujet a agi sur la base d'une mauvaise représentation de la situation.

Sur ce tronçon, la vitesse est limitée à 90 km/h, ce qui tend à raccourcir les distances entre les véhicules. Cela rend exploitables les informations de notre système de détection d'obstacles. Une autre particularité de cette situation est qu'elle est en léger virage vers la droite. Le volant est donc légèrement décalé ce qui rend les observés du volant liés aux seuils de 4° non significatifs. C'est pourquoi nous avons affiché la courbe de l'angle volant en bas de la Figure 85. Enfin cette situation a fait l'objet d'une évaluation subjective dans l'entretien d'auto-confrontation. Le sujet a déclaré avoir été surpris (90% de l'échelle), stressé (70%) mais n’a pas eu peur (0%). Il estime avoir convenablement maîtrisé (maîtrise : 60%, performance : 54%).

L'analyse de la trace de la Figure 85 montre que le sujet n'avait pas regardé dans son rétroviseur avant d'engager la procédure de dépassement. Au lieu de cela, il a adressé plusieurs regards en direction de son tableau de bord. Il semblait préoccupé par sa vitesse, il voulait probablement s'assurer qu'il n'allait pas commettre un excès de vitesse, car il roulait à la limite de la vitesse autorisée. Finalement, il commence à tourner son volant en même temps qu'il regarde dans son rétroviseur, et il actionne son clignotant une demie seconde plus tard. C’est à peu près à ce moment qu’il donne un brusque coup de volant vers la droite pour se rabattre, ce qui montre qu'il a vu le véhicule B dans son rétroviseur. Ensuite, il éteint son clignotant et commence à freiner pour se synchroniser avec le véhicule A. Le fait qu'il n'ait pas eu peur peut sans doute s'expliquer par le fait qu'il dispose encore d'une distance de sécurité raisonnable de 24 m par rapport au véhicule A à la fin de cette manœuvre.

Figure 85 : Mise en défaut de schéma tactique (Sujet 21 Time-code 1661)

Dans cette trace, la détection du véhicule A est mise en évidence par les triangles jaune pâle en bas. Le premier indique une distance de suivi de 26m, une vitesse relative de 3.5 km/h (environ 1m/s) et un temps à la collision de 27s. A peu près au même moment, on observe une stabilisation de la vitesse (carré ocre sur l'axe longitudinal). Ces deux informations conjointes nous permettent de diagnostiquer que le conducteur s’apprête à doubler le véhicule A, puisqu'il se stabilise à une vitesse supérieure à la sienne. Pourtant, aucun regard vers le rétroviseur n'a été observé. A partir de ce moment là, soit plus d'une seconde avant l'erreur, nous sommes donc en mesure de diagnostiquer une situation potentiellement dangereuse. Ce diagnostic se confirme finalement avec le brusque coup de volant vers la droite et l'abandon de la procédure de dépassement. Le deuxième triangle jaune pâle indique une détection du véhicule A, à une distance de 24 m. Les informations de freinage montrent que le coup de frein n'a pas été brusque, ce qui corrobore les déclarations du conducteur de bonne maîtrise et d'absence de peur. Les paramètres de ce coup de volant brusque peuvent quant à eux être retenus pour proposer un marqueur candidat d'indication de la surprise, à confronter à d'autres cas.

L'analyse de cette situation peut nous apporter des éléments utiles dans une perspective d'ergonomie plus globale pour la conception de systèmes intelligents d'assistance à la conduite. En effet, elle nous montre que des données suffisantes sont disponibles pour imaginer des systèmes capables de réduire les risques d'accident dans ce cas de figure. Par exemple, une première possibilité serait de prévenir le conducteur par un signal non intrusif : un signal sonore ou une vibration dans le siège ou le volant. Une autre possibilité serait d'avertir le véhicule B, par exemple par un allumage spécifique du clignotant, afin que celui-ci puisse être sur ses gardes et éventuellement ralentir ou signaler sa présence par un coup de klaxon. Enfin, si l'on disposait d'un radar capable de détecter le véhicule B, on pourrait imaginer une intervention plus intrusive telle qu'un signal d'alarme sonore ou une résistance mécanique sur le volant.