7.2.3. Une méthodologie de construction de connaissances à partir des traces

7.2.3.1. Bilan méthodologique

Au paragraphe 1.2 nous nous sommes référés aux épistémologies constructivistes. Nous avons trouvé dans ce cadre épistémologique une inspiration initiale pour notre approche, puis après coup, une façon d'en rendre compte qui nous semble bien adaptée. Nous la résumons par les termes : évolutionniste, pragmatique et téléologique.

Notre approche est évolutionniste. D'une part, elle débute par une observation qui est conditionnée par un savoir-faire initial amené à évoluer au fur et à mesure de nos connaissances. Par exemple, notre analyse nous amène à revoir la configuration de notre oculomètre pour nos prochaines expérimentations. Mais surtout, chaque étape élémentaire de la modélisation repose sur un mécanisme de production de micro-hypothèses qui doivent être immédiatement confirmées ou réfutées. Le choix de chaque paramètre intervenant dans la production de chaque observé doit être affiné par essais successifs, par exemple le seuil significatif de l'angle volant, des valeurs d'accélération, et finalement chaque règle d'inférence définie dans Abstract.

Notre approche est pragmatique. Aucun des choix élémentaires qui interviennent dans le processus de modélisation ne peut être démontré de manière absolue. Sont donc retenus les choix qui produisent les observés les plus utiles pour permettre à l'ergonome de comprendre l'activité en regardant la trace, et de répondre aux questions qu'il se pose. De plus, ces observés deviennent compréhensibles par le fait qu'ils symbolisent un aspect de l'activité qu'ils contribuent eux-mêmes à définir. A ce titre, ils deviennent les mots d'un langage qui permet de produire un discours sur l'activité de l’opérateur. Ce langage relève d'une théorie du langage pragmatique , dans laquelle chaque mot prend son sens dans le contexte ou il est employé et par rapport à une possibilité d'usage pour celui qui l'emploie. Dans notre cas cet usage se réfère à la production de modèles cognitifs ou à la conception de systèmes d'assistance à la conduite. De plus, le choix de ces symboles ne peut pas échapper à l'influence d'une communauté d'usage, la communauté des ergonomes de la conduite automobile et la communauté des conducteurs automobiles. Ce langage rejoint donc ce que Falzon nomme un langage opératif, c'est-à-dire un langage spécialisé, utilisé par les opérateurs pour communiquer entre eux pendant la pratique de leur activité ou pour la décrire. Selon Falzon, l'ergonome doit impérativement découvrir ce langage opératif pour pouvoir réaliser son travail d'analyse de l'activité, et il ne peut le découvrir qu'en accord avec l'opérateur.

Enfin, notre approche est téléologique. Elle est dirigée par un sujet conscient, l'ergonome, et est orientée par ses intentions et projets. A chaque étape élémentaire de construction d'un observé, il surgit une infinité de choix possibles. La simple méthode évolutionniste et pragmatique demanderait un temps infini pour tester et évaluer chaque possibilité si elle n'était pas orientée par la compréhension de l'ergonome. De plus, les résultats produits n'auraient aucun sens pour cet ergonome.