Section 3. Les choix de la socio-économie : une approche normative, institutionnaliste et comparative

Comprendre le phénomène d’exclusion bancaire des particuliers est donc l’objectif de cette thèse. Le but est d’en saisir à la fois les causes et les conséquences pour élaborer une grille de lecture permettant de penser des réponses pertinentes. Pour cela, nous optons dans ce travail pour un regard socio-économique tel que défini par Jean Gadrey (2003) (encadré 1) qui ancre la production de la connaissance scientifique dans l’empirie et les références aux pratiques économiques concrètes.

Encadré 1 : Une approche socio-économique
« La socio-économie n’est pas une discipline, c’est une façon de faire de l’économie en articulant les méthodes classiques de l’économie et certains outils empruntés à d’autres sciences sociales (en premier lieu la sociologie et l’histoire). Cela permet de socialiser les "agents économiques" en les considérant comme des acteurs sociaux dont les comportements et calculs s’inscrivent dans des règles, des institutions et des conventions » (Gadrey, 2003, p. 3).
Gadrey insiste ensuite sur la pertinence d’une telle démarche dans le cadre de notre propre recherche qui suppose l’analyse de la prestation de services bancaires : « Les services sont particulièrement concernés par cet "encastrement" social de l’économie. Pour (mieux) comprendre l’économie des services, il faut (aussi) analyser les sociétés de services, les relations de service, les règles et les institutions correspondantes » (ibidem). Ce sont précisément les objectifs que nous nous sommes fixés dans cette thèse.

Ce choix repose sur un postulat : on ne pourra comprendre le phénomène d’exclusion bancaire qu’en étant attentif aux motivations contextualisées des acteurs : il importe en effet de mettre au jour les éléments qui sous-tendent les processus de décision sous-jacents aux pratiques bancaires des particuliers, mais aussi ceux des banquiers avec qui ils sont en relation. Pour cela, il est nécessaire d’intégrer les contraintes (droits et obligations, environnement social et politique) pesant sur ces pratiques, ainsi que le sens que les acteurs confèrent à ces pratiques. L’intégration dans l’analyse, des institutions8 mais aussi des valeurs morales est alors une nécessité absolue. Pour cela, nous avons opté pour une approche qui articule la dimension normative de la notion de capabilité empruntée à Amartya Sen (1993) (§1), et celle institutionnelle des conceptualisations de la relation d’échange élaborées par Karl Polanyi (1975, 1983) et Jean Gadrey (1994a, b, c) (§2). Ces deux choix supposent d’adopter une démarche comparative (Weber, 1965) pour parvenir à en saisir les mécanismes et subtilités (§3).

Notes
8.

 Corei (1995) définit l’institution comme : « un terme générique en résonance avec les notions d’organisation, de communauté, de groupement, de collectif ; de règles morales religieuses, laïques ou juridiques ; de valeurs, de conventions, de normes. Il s’agit encore de conduites, d’activités privées ou collectives – ainsi que leurs supports – et, en amont, de manières de faire, de penser et de percevoir […] Une fois filtrée la polysémie du concept d’institution, il reste l’idée d’un ensemble de "règles du jeu" sociales ou d’une communauté particulière allant des coutumes au droit ou à la constitution d’une nation » (pp. 8-9).