§1. Une approche qualitative à micro-échelle

Le choix de l’échelle d’analyse conditionne les aspects de la réalité accessibles au chercheur. Selon que l’on retient une analyse à micro ou macro-échelle, la construction de la connaissance par le processus d’allers-retours entre observation et conceptualisation n’éclairent pas les mêmes facettes de la réalité étudiée.

Une approche à macro-échelle peut donner à voir la structuration de l’exclusion bancaire en montrant par exemple que les allocataires de minima sociaux ont moins accès que les autres aux produits bancaires ou que le surendettement ne concerne pas en priorité les ménages les plus pauvres. Une approche à micro-échelle permet, elle, d’expliquer pourquoi les bénéficiaires de minima sociaux ont moins accès à ces produits ou les différentes raisons pour lesquelles les plus pauvres des ménages sont moins concernés par le surendettement. Tels que nous les présentons, la complémentarité de ces deux niveaux d’analyse paraît évidente. Ils sont pourtant fréquemment opposés en économie.

Les raisons de cette opposition sont multiples. La principale est conceptuelle et tient à la question de l’articulation des résultats obtenus par les modèles microéconomiques et macroéconomiques. Nous laissons ce débat de côté dans la mesure où il n’intervient pas dans le cadre de cette thèse. En revanche, une autre source d’opposition est de nature méthodologique et tient aux liens étroits entre niveau macro et outils quantitatifs d’un côté et niveau micro et outils qualitatifs de l’autre. Cette opposition s’apparente en économie au rejet par les tenants de l’approche formaliste d’outils intégrant des dimensions subjectives comme nous l’avons vu précédemment. Dans le cadre d’une approche institutionnaliste, cette opposition n’a plus lieu d’être. Les outils quantitatifs complètent et mettent en perspectives les mécanismes identifiés par les outils qualitatifs. Ils peuvent également susciter de nouvelles pistes de recherche en mettant au jour des corrélations entre différents éléments dont les liens n’avaient jusqu’alors pas été explorés. Établir des corrélations ne permet cependant pas l’analyse mais le constat. Comment donner du sens aux chiffres ? Comment mettre en perspective les résultats que les outils quantitatifs peuvent mesurer ? C’est pour répondre à ces questions qu’il faut recourir aux outils qualitatifs à micro-échelle.

C’est par le recours aux entretiens et à l’observation que les pratiques prennent sens. Le contact que le chercheur établit avec des facettes de la réalité de son objet d’étude doit lui permettre d’en comprendre les ressorts. Pour nous, cela implique d’étudier comment les personnes faisant face à des difficultés bancaires utilisent les produits de la banque. Quelles sont les éléments qui conditionnent ces usages ? Quelle est la nature de ces éléments : économique, culturelle, langagière, etc. ? Comment les personnes se les approprient ? Mais cela suppose également de se pencher sur la relation bancaire elle-même et de tenter de comprendre ce qui en détermine la qualité tant du point de vue du client que du banquier. Là encore, il est nécessaire de saisir les éléments qui encadrent la relation et de quelles manières les acteurs se les approprient dans les jeux de pouvoir auxquels ils se livrent. Saisir la complexité de ce contexte aussi bien institutionnel, organisationnel, qu’émotionnel est indispensable pour donner du sens aux pratiques et, in fine, pouvoir expliquer le développement du processus d’exclusion bancaire et tenter de le prévenir. Seule une approche à micro-échelle peut saisir ces éléments.

Le choix de l’échelle d’analyse tient aux objectifs que le chercheur se fixe mais également à l’état des connaissances préexistantes. Le choix de la micro-échelle s’est imposé à nous parce que nous souhaitions comprendre le sens des décisions des acteurs et donc de leurs pratiques observables mais également parce que ce type de travaux était quasiment inexistant dans la littérature. Étonnamment, si des facettes de l’exclusion bancaire des particuliers avaient parfois été étudiées, aucune étude systématique n’avait été menée20, et les principaux travaux existants avaient presque unanimement adopté une approche quantitative, que ce soit pour l’accès aux produits bancaires (Daniel & Simon, 2001), l’interdiction bancaire (Gallou & Le Quéau, 2000) ou le surendettement (Banque de France, 2002). Avant de mesurer, il est indispensable de comprendre ; la micro-échelle s’est donc imposée à nous.

Choisir une échelle d’analyse ne suffit pas à accéder aux éléments de connaissance recherchés. Il faut également se doter des outils adéquats. Nous avons fait le choix de mettre au cœur de notre méthodologie les entretiens approfondis ou récits de pratiques en situation.

Notes
20.

 Des travaux portant sur des éléments précis comme les relations entre la clientèle aux ressources financières modestes et les agents de La Poste (Sagna, 2003) ou le travail des assistantes sociales auprès des personnes surendettées (La Hougue, 2002) ont été publiés mais aucune étude du phénomène lui-même.