A. Un type particulier d’entretiens

Les récits de pratique en situation sont une forme de « récit de vie », outils d’enquête introduit en France au cours des années 1970 et dont Daniel Bertaux donne la définition suivante : « une forme particulière d’entretien, l’"entretien narratif", au cours duquel un chercheur demande à une personne ci-après dénommée "sujet" de lui raconter tout ou partie de son expérience vécue » (Bertaux, 2005, p. 11). Lors des récits de pratiques en situation, le sujet est invité à raconter certaines de ses expériences passées. Toutefois, il ne le fait pas sans aucun cadre. L’enquêteur l’incite en effet à explorer les thèmes qui correspondent à l’objet d’étude ou que le sujet considère comme pertinents à cet égard. Concrètement, l’enquêteur dispose d’un guide d’entretien qui récapitule les principaux thèmes généraux qu’il souhaite voir abordés par l’enquêté (explication des difficultés, conséquences des difficultés, relation à la banque, etc.). Ces thèmes sont larges de manière à ne pas limiter l’enquêté dans la présentation de ses pratiques et de sa situation. Ils peuvent éventuellement être accompagnés de phrases de relance rédigées à l’avance de manière à faire redémarrer l’entretien ou le réorienter si nécessaire sans fausser la logique du discours livré par la personne21 (Berthier, 2002).

L’objectif de ces récits est de restituer un « objet social », ici le phénomène d’exclusion bancaire, à partir des expériences livrées par les personnes rencontrées (personnes en difficultés, banquiers, etc.). Il s’agit d’explorer l’articulation des pratiques bancaires des uns et des autres avec l’ensemble des droits et obligations qui caractérisent leur appartenance sociale afin d’en comprendre la logique du point de vue des personnes.

Cette exploration doit intégrer la dimension dynamique à court et à plus long terme de ces pratiques. Il s’agit donc à la fois de saisir les différentes modalités de gestions de situations d’urgence quotidienne mais également leurs évolutions à plus long terme. Cela permet notamment de comprendre comment les personnes adaptent leurs pratiques aux produits bancaires auxquels elles accèdent mais également comment elles adaptent ces produits à leurs propres pratiques en fonction des différents droits et obligations qui caractérisent leur situation. C’est là la seconde dimension que ces récits doivent permettre d’explorer à côté de la dimension dynamique de ces pratiques : la place des jugements moraux que les personnes portent sur leurs pratiques et donc le sens qu’elles leurs donnent. Cette exploration se fait aux trois niveaux de l’appartenance sociale que sont le lien à soi (estime de soi), le lien aux autres (dimension horizontale des liens sociaux) et le lien à la société dans son ensemble (dimension hiérarchique des liens sociaux). Elle suppose de considérer les relations sociales au sein desquelles se développent les pratiques bancaires au premier lieu desquelles, la relation bancaire.

Notes
21.

Des guides d’entretiens utilisés pour les différentes enquêtes sont réunis au sein des annexes 2, 3 et 5.