A. Les difficultés bancaires du point de vue des particuliers (fin 2001 – milieu 2003)

Après notre mémoire de DEA réalisé en 2000 dans le cadre d’un stage de trois mois à la Mission recherche de La Poste portant sur les besoins bancaires spécifiques des particuliers aux ressources financières modestes, nous disposions d’une base conceptuelle liée à la revue de la maigre littérature disponible. Ses carences évidentes nous ont incité à orienter notre recherche tout d’abord sur la compréhension des difficultés bancaires que rencontraient les particuliers et sur leurs conséquences. Deux enquêtes ont permis de collecter les données empiriques nécessaires.

La première, réalisée sous la direction de Guérin, est une recherche-action pour la Caisse des dépôts et consignations dont l’objectif était d’identifier, d’analyser, et d’évaluer les conditions de reproductibilité des expérimentations visant à améliorer la qualité des relations entre particuliers en difficulté et établissements de crédit (Gloukoviezoff & Guérin, 2002a). Elle s’est déroulée de décembre 2001 à mai 2002. La méthodologie comportait trois étapes : le repérage des expérimentations, l’identification de leur contenu grâce à des entretiens téléphoniques23, une approche monographique des bonnes pratiques sélectionnées.

Cette étude nous a permis de faire un état des lieux des expérimentations existantes dans la lutte contre l’exclusion bancaire en France et d’en faire une analyse approfondie pour trois d’entre elles : l’Espace médiation bancaire du conseil général du Gers, les Points Passerelle du Crédit Agricole Nord Est, et les Points d’information médiation multiservice de La Poste dans la région lyonnaise. Prenant appui sur les informations obtenues dans la phase d’identification de leur contenu, l’analyse monographique des dispositifs a couplé des entretiens approfondis avec les personnes qui les animaient, et de l’observation de rendez-vous avec des personnes en difficulté à chaque fois que cela a été possible.

Entrer sur le terrain de l’exclusion bancaire par la porte des dispositifs dédiés s’est avéré a posteriori une véritable aubaine. Ils occupent en effet une place intermédiaire entre les clients en difficultés et les établissements de crédit permettant de saisir les problématiques auxquelles font face les uns et les autres et de deviner, au travers des caractéristiques de ces dispositifs, les raisons pour lesquelles elles ne parviennent pas à coïncider.

La deuxième étude constitue un socle fort de cette thèse. Cofinancée par l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale et la Caisse des dépôts et consignations, elle avait pour objectif de contribuer à une meilleure compréhension du phénomène d’exclusion bancaire des particuliers. Dans le cadre de cette étude qualitative, notre rôle a été :

  1. de participer à la rédaction de l’appel d’offre ainsi qu’à la sélection des deux équipes en charge de l’enquête elle-même ;
  2. de réaliser une revue de la littérature des enquêtes similaires menées à l’étranger ainsi que d’organiser un séminaire à Lyon avec des acteurs de terrains impliqués dans la lutte contre l’exclusion bancaire afin de proposer aux deux équipes une méthodologie précise, un guide d’entretien et une grille d’analyse qui ont été par la suite affinés avec elles ;
  3. de coordonner le travail de terrain et d’analyse des deux équipes et de leur apporter une expertise tout au long de ce processus ;
  4. d’évaluer les rapports intermédiaires et finaux et d’en faire la synthèse (Gloukoviezoff, 2004c).

FORS-Recherche sociale (Brunet et al., 2003) et Économie et Humanisme (Ebermeyer et al., 2003), les deux équipes sélectionnées, ont ainsi mené des entretiens approfondis avec respectivement 40 et 37 personnes en difficultés bancaires, 4 et 8 banquiers et 6 et 4 travailleurs sociaux. Elles ont également organisé chacune un focus group réunissant respectivement 10 et 6 personnes en difficultés bancaires. Afin de varier les profils, les terrains d’enquête devaient comporter une grande ville, une ville moyenne et un site rural. Il s’est agi pour FORS-Recherche sociale du Havre, de Cherbourg et des zones rurales environnantes, et pour Économie et Humanisme de Saint-Etienne, Roanne, de la banlieue grenobloise et de zones rurales ardéchoises.

En raison du grand nombre de récits de pratiques en situation menés (dont les transcriptions nous ont été transmises par les deux équipes), cette double étude a permis d’élaborer des hypothèses solides quant à notre objet d’étude lorsque l’on se place du point de vue des clients (la nature de l’auto-exclusion, l’importance de l’estime de soi et l’influence de la violence symbolique dans le cadre de la relation bancaire, le rôle du conseil, de la confiance et de la personnalisation, etc.)24. Elle a notamment validé la pertinence d’une analyse basée sur les capabilités de Sen (1993). En complément de l’étude précédente (Gloukoviezoff & Guérin, 2002a), elle a également souligné la place centrale que tenait la qualité de la relation bancaire dans le développement des difficultés. C’est cet aspect qu’il nous a fallu creuser par la suite.

Notes
23.

Le guide d’entretien téléphonique est en annexe 1.

24.

 Lorsque nous ferons référence à cette étude au cours de la thèse, nous citerons les études des deux équipes plutôt que la synthèse que nous en avons rédigée.