1. La relation bancaire en agence

La première étude ne portait qu’en partie sur notre sujet puisqu’elle traitait des relations des clients/usagers avec une mairie d’arrondissement de Lyon et avec les agents de deux bureaux de poste (en considérant uniquement leur activité bancaire). Cette étude réalisée en collaboration avec Bruno Tinel a été menée dans le cadre d’une Action concertée incitative (ACI) « Travail » pour le Centre d’étude de l’emploi (Gloukoviezoff & Tinel, 2004). L’objectif était de comprendre ce qu’il se jouait vraiment entre les particuliers et ces institutions qui employaient toutes deux le vocable de client. Du point de vue de la thèse, l’intérêt était d’une part d’avoir accès à un terrain spécifique constitué de deux bureaux de poste l’un en zone urbaine sensible l’autre en zone résidentielle aisée, et d’autre part, de pouvoir comparer les relations bancaires qui s’y établissent avec celles qui se développent dans le cadre d’un véritable service public que constitue une mairie d’arrondissement.

Outre les 24 récits de pratique en situation recueillis en mairie, nous en avons menés 24 au cours de deux vagues successives au sein des deux bureaux de poste en tenant compte de la diversité des postes occupés (agent de salle, guichetier, conseiller financier, chef d’équipe et chef d’établissement) ainsi que de leur statut (emploi-jeune, contractuel, fonctionnaire).

Cette étude nous a permis de préciser notre cadre conceptuel (notamment le passage d’une grille de lecture en termes d’opposition « place de marché »/« lien de clientèle » à une autre en termes de « relation de service »25) et de mieux comprendre la diversité de ce qui se joue entre banquiers et clients. Cette diversité tient à la fois à la nature des besoins exprimés mais également à la nature de la relation elle-même.

Parallèlement à cette étude, nous avons mené dans le cadre de notre convention Cifre une étude pour la Caisse d’épargne Rhône-Alpes Lyon (CERAL) sur l’activité de ses agences en environnement sensible (Gloukoviezoff, 2003). L’objectif était d’évaluer la réalité de l’activité des salariés en agence en comparant trois agences situées en zone urbaine sensible ou à proximité immédiate dont deux d’entre elles avaient été rénovées afin de les rendre plus accueillantes pour la clientèle (suppression des vitres de protection, ouvertures des espaces, etc.) et une agence en zone résidentielle aisée. Si la problématique est différente de l’étude précédente (Gloukoviezoff & Tinel, 2004), elle présente l’intérêt que deux agences de la Caisse d’épargne (une en zone urbaine sensible et une en zone résidentielle aisée) se situent sur le même lieu que les deux bureaux de poste étudiés. Les possibilités de comparaison étaient ainsi accrues par cette proximité géographique.

La méthode utilisée pour cette enquête a articulé trois outils : les récits de pratiques en situation, l’observation et la quantification. Nous avons en effet passé une semaine complète dans chacune des quatre agences où nous avons mené des entretiens avec 24 banquiers (18 en zone urbaine sensible et 6 en zone résidentielle aisée). Ces entretiens ont été complétés par l’observation des rendez-vous des clients avec les conseillers financiers, mais aussi et surtout des contacts de guichet. C’est ce second type d’observation qui a donné lieu à quantification.

Lors de notre première semaine en agence nous avons élaboré une grille des demandes typifiées des clients26 afin de pouvoir ensuite les quantifier, en mesurer la durée, en analyser l’enchainement (lorsque qu’un contact est l’objet de plusieurs demandes), en portant une attention particulière aux difficultés rencontrées, au flux de clients et à leurs profils. Nous avons ensuite appliqué cette grille de lecture au sein des trois agences restantes (tableau 3).

Tableau 3 : Observation au guichet des agences des Caisses d’épargne
Durée d'observation directe totale Nombre de clients Nombre d'opérations
Zone urbaine sensible 2 102 minutes 35h02 564 846
Zone résidentielle aisée 1 399 minutes 23h19 270 465
Total 3 501 minutes 58h21 834 1311

Source : Gloukoviezoff (2003).

Associer ces différents outils nous a notamment permis d’objectiver les propos des banquiers sur la nature jugée « sociale » des difficultés exprimées par les clients au guichet alors mêmes qu’elles sont très majoritairement (environ 85 % des difficultés) de nature bancaire et de mieux percevoir le rôle des jugements de valeurs sur une difficulté perçue comme légitime ou non par le banquier27. Cela a également rendu plus tangibles les contraintes qui pèsent sur le banquier pour résoudre les difficultés de ses clients comme la pression liée au flux de clientèle, la difficulté à comprendre rapidement la nature du problème, ou bien le caractère contraignant du cadre fixé par l’employeur (modes d’évaluation de la performance, outils mis à disposition, etc.).

Notes
25.

Voir le second paragraphe de la troisième section de cette introduction générale.

26.

Voir annexe 3.

27.

Voir chapitre 6.