2. Une application de notre grille de lecture et une mise à l’épreuve de nos hypothèses « globales »

Outre une étude pour le Bureau international du travail (BIT) en 2006 qui a permis d’approfondir la connaissance du rôle des syndicats dans la lutte contre le surendettement (Gloukoviezoff, 2006), la principale enquête de terrain que nous avons menée lors de cette troisième phase est une étude d’évaluation d’impact du dispositif de microcrédits personnels (les « crédits projet personnel ») du Secours Catholique.

Elle a permis d’appliquer et donc de mettre à l’épreuve notre grille de lecture et nos hypothèses de manière systématique et parfaitement homogène. L’objectif de cette enquête était d’évaluer l’impact de l’accès aux Crédits projet personnel pour les emprunteurs mais également pour le Secours Catholique et les trois partenaires bancaires impliqués dans l’étude33. Une telle évaluation suppose de saisir à la fois la globalité de la situation des personnes, de leurs relations à la banque, de leurs représentations, etc. préalablement à l’octroi du Crédit projet personnel puis d’en évaluer les différents impacts au cours du temps.

Nous avons fait le choix d’une étude longitudinale, plus à même de saisir les impacts que leur reconstruction a posteriori (cette reconstruction a cependant été utilisée pour une partie des personnes dont l’octroi du crédit datait de plusieurs mois)34 ainsi que celui d’une rencontre systématique de l’ensemble des parties prenantes d’un prêt (emprunteur, accompagnateur Secours Catholique et banquier) lorsque cela était possible. Nous avons mené cette étude sur une durée de 21 mois (de septembre 2006 à mai 2008) en deux phases en collaboration avec Jeanne Lazarus pour la première vague d’entretiens et d’analyses aboutissant à un rapport intermédiaire (Gloukoviezoff & Lazarus, 2007) puis avec Jane Palier pour la seconde vague et le rapport final (Gloukoviezoff & Palier, 2008)35.

Pour cette enquête, nous avons mené un total de 110 récits de pratiques en situation, 68 lors de la première phase (13 cadres des partenaires bancaires et du Secours Catholique qui ont mis en œuvre le dispositif, 27 emprunteurs, 17 accompagnateurs, 8 banquiers et 3 prescripteurs) et 42 lors de la seconde (22 emprunteurs, 15 accompagnateurs et 5 banquiers). Ce sont les mêmes personnes (quel que soit leur statut) qui ont été rencontrées à un an d’intervalle afin de pouvoir analyser les changements intervenus au cours de cette année. En mettant au cœur de nos entretiens les emprunteurs et en croisant les points de vue avec ceux des banquiers et des accompagnateurs avec qui ils étaient en relation, il a été possible d’analyser en profondeur les difficultés bancaires rencontrées et les impacts positifs et négatifs que ces crédits projet personnel provoquaient.

Il a ainsi été possible d’analyser la dynamique d’évolution des représentations des uns et des autres mais aussi les modalités d’adaptation de l’usage des produits bancaires à la situation des emprunteurs et des évolutions de cette adaptation lorsque cette situation était modifiée. De même, l’éventail des conséquences des difficultés bancaires a pu être vérifié et complété. Enfin, la comparaison des caractéristiques des différentes relations (bancaires et d’accompagnement) et les modalités de leur articulation plus ou moins harmonieuse ont également validé et approfondi les hypothèses que nous avions élaborées relativement aux causes des difficultés bancaires et aux mécanismes de leur possible résolution.

Cette dernière enquête à donc été le point d’orgue de l’indispensable aller-retour permanent entre terrain et théorie seul à même de permettre l’élaboration d’hypothèses solides quant à l’objet d’étude analysé. Au cours des trois phases de cette thèse nous avons ainsi rassemblé un matériau inédit et conséquent sur le phénomène d’exclusion bancaire des particuliers afin d’alimenter nos recherches et d’aboutir à une grille de lecture opérationnelle.

Notes
33.

 Il s’agit de deux établissements de crédit coopératifs et d’un établissement de crédit spécialisé. Il a été fait le choix de ne pas donner leur nom dans le cadre de l’étude nous respectons également leur anonymat dans le cadre de la thèse.

34.

 En l’absence d’approche longitudinale, les personnes sont invitées au cours des entretiens à décrire leur situation avant le prêt puis à décrire leur situation actuelle. Cela permet de reconstituer la dynamique des éventuels changements intervenus. Cette méthode est fiable mais elle n’est pas aussi performante que celle longitudinale qui suppose de rencontrer les emprunteurs à différentes étapes.

35.

 Ces deux collaborations ont été précieuses car elles ont enrichi nos propres analyses de celles de leurs auteures s’intéressant aux banques dans leurs dimensions morales (Lazarus, 2004) pour l’une et analysant l’empowerment obtenu par les dispositifs de microfinance en Inde (Palier (2001) et sa thèse en cours : Les pratiques de micro-finance en Inde : idéologie démocratique et de marché versus société hiérarchisée en valeurs) pour l’autre.