Chapitre 1. Vers une définition de l’exclusion bancaire des particuliers

Introduction du chapitre 1

Environ 5 millions de personnes seraient concernées par l’exclusion bancaire en France (Lebègue, 1999 ; Le Duigou, 2000). Ce chiffre a provoqué nombre de débats entre la profession bancaire, les représentants des associations de défense de consommateurs et les pouvoirs publics. Il a parfois focalisé l’attention au point de reléguer au second plan ce dont il était vraiment question : le phénomène d’exclusion bancaire lui-même. Pourtant, c’est bien là que réside la clef du problème : de quoi parle-t-on lorsque les associations de consommateurs réclament un service bancaire universel au nom de la lutte contre l’exclusion bancaire, lorsque les établissements bancaires par la voix de leur Fédération expliquent que ce n’est pas un problème en France, ou quand les pouvoirs publics assignent aux Caisses d’épargne et à la Caisse des dépôts et consignations la mission de lutter contre ? Tout est affaire de définition et bien souvent de point de vue.

À défaut d’un contenu, l’« exclusion bancaire » véhicule une idée : celle d’un dedans et d’un dehors. Il y a les exclus et les inclus ; ceux qui ont et ceux qui n’ont pas. Mais suffit-il d’opposer ceux qui ont des produits bancaires à ceux qui n’en ont pas pour comprendre ce qui se joue au travers du phénomène d’exclusion bancaire ? C’est précisément l’enjeu de ce premier chapitre que de répondre à cette question.

Y parvenir implique d’accepter que proposer une définition n’est pas une fin en soi. Au sein d’une démarche scientifique, son utilité ne se vérifie que dans sa faculté supérieure à celles préexistantes, à rendre aisément lisibles les phénomènes à l’œuvre, les relations de causalité qui se jouent, et la nature des conséquences produites. En d’autres termes, il s’agit d’offrir une grille de lecture utilisable par l’ensemble des parties prenantes, qui permette de rendre intelligible la complexité du phénomène dynamique d’exclusion bancaire, et saisissable la diversité de ces facettes. C’est cette exigence qui guide l’analyse des travaux existants portant sur l’exclusion bancaire des particuliers et la proposition d’une définition alternative.

En matière d’exclusion bancaire, les travaux scientifiques menés au Royaume-Uni, depuis 1997 et l’arrivée au pouvoir du New Labor de Blair, constituent la référence en la matière. Ces travaux développant une approche homogène en termes de difficultés d’accès, sont largement et internationalement mobilisés comme base de la connaissance de ce phénomène37. Ils recèlent pourtant trois faiblesses majeures qui en réduisent fortement la pertinence au moins pour définir le phénomène étudié : une trop grande dépendance à la structuration du secteur bancaire britannique pour être adaptés directement à la situation d’autres pays, une insuffisante prise en compte des difficultés d’usage aux côtés des difficultés d’accès, et l’absence de liens explicites entre les difficultés bancaires considérées et leurs conséquences sociales. Ces limites conceptuelles se sont traduites par l’émergence de travaux plus récents rompant avec cette approche sans toutefois parvenir à l’infléchir véritablement (section 1).

L’identification de ces faiblesses et les tentatives britanniques alternatives légitiment la proposition d’une définition qui, sans en rejeter les acquis bien réels de ces travaux initiaux, permettent d’en pallier les carences. C’est ce que nous nous proposons de faire en développant une définition de l’exclusion bancaire en tant que processus. D’abord, il n’est plus question de bornes fixes d’inclusion et d’exclusion. Ensuite, les difficultés d’usage sont considérées avec le même statut que les difficultés d’accès. Enfin, ces difficultés bancaires ne participent au processus d’exclusion bancaire que dans la mesure où elles se traduisent par des conséquences négatives pour les personnes qui les subissent. Ces conséquences sont comprise au travers de la grille de lecture établie par Sen (1983, 1993, 1999, 2000a, 2000b, notamment) en termes de privations de capabilités. Le recours à cet outil conceptuel nous permet ainsi d’articuler le phénomène d’exclusion bancaire tel que nous le définissons avec les problématiques plus larges que sont celles des inégalités, de la pauvreté et de l’exclusion sociale (section 2).

Ayant élaboré une définition et une grille de lecture permettant de donner du sens à ce que recouvre le phénomène d’exclusion bancaire, il est alors possible de s’interroger sur la quantification de ce phénomène. Compte tenu de la nature fragmentaire et très hétérogène du peu de données disponibles, c’est d’ailleurs davantage de la définition d’indicateurs de mesure pertinents dont il est question. En revanche, disposer d’une définition permet de se confronter aux frontières du processus d’exclusion bancaire. Plus précisément, notre définition permet de remettre en question la césure qui existe entre ce qui est généralement considéré comme relevant de l’exclusion bancaire et relevant du surendettement. Le surendettement est pour nous l’une des facettes du processus d’exclusion bancaire (section 3).

Notes
37.

 Il existe également une littérature portant sur l’exclusion bancaire des particuliers aux États-Unis cependant, elle se concentre principalement sur l’accès au crédit au détriment des autres produits bancaires, et quand elle est ouverte aux autres produits, ce sont les travaux britanniques qui sont cités en référence.