B. Une focalisation sur les difficultés d’accès

Nous définissons les difficultés d’usage comme le fait pour une personne d’avoir accès à des produits bancaires mais de faire face à des conséquences négatives directes et indirectes découlant de difficultés rencontrées dans leur utilisation. Ces difficultés peuvent être causées par l’insuffisante maîtrise de la personne que ce soit dû à un manque de proximité cognitive (insuffisance des savoirs bancaires de base) ou culturelle (méfiance à l’égard des produits bancaires ou pratiques budgétaires difficilement compatibles avec leurs règles de fonctionnement), ou à une situation qui perturbent la prise de décision. Mais elles peuvent également résulter de l’inadaptation des produits eux-mêmes à la situation de la personne (leurs caractéristiques se révèlent inappropriées). Elles sont en partie présentes dans l’analyse des travaux que nous avons cités jusqu’à présent mais seulement de manière indirecte.

Kempson et Whyley (1999) et Kempson et al. (2000) soulignent que les difficultés d’accès ne sont pas simplement le fruit de l’absence physique des prestataires bancaires mainstreams. Cinq autres causes sont identifiées :

  1. les restrictions d’accès – ou sélection – liées à l’évaluation du risque (access exclusion) ;
  2. les difficultés qui découlent des caractéristiques inappropriées des produits au regard des besoins de certaines personnes (condition exclusion) ;
  3. les difficultés qui découlent du prix élevé de l’accès aux services bancaires pour les clients à faible revenu (price exclusion) ;
  4. le manque d’information sur les produits existants en raison d’un ciblage publicitaire qui évite les clients aux revenus limités (marketing exclusion) ;
  5. le renoncement à certains produits de la part de personnes qui anticipent le refus de la banque. Cette anticipation peut s’expliquer par un refus antérieur, par le fait qu’une connaissance s’est vue refuser le même service ou tout simplement par la « croyance » que la banque ne les acceptera pas (self-exclusion).

Cet enrichissement des causes de l’absence d’accès conduit à intégrer des éléments liés à l’usage des produits. Ainsi, certaines personnes n’ont pas accès à un compte de dépôt parce qu’elles ne peuvent maintenir un solde moyen suffisamment élevé au regard des conditions imposées par la banque (condition exclusion). D’ailleurs Kempson et al. (2000) insistent sur ce point en soulignant que « these various forms of financial exclusion constitute a complex set of barriers to accessing and using mainstream financial services for many people with limited incomes » (p. 9, souligné par nous).

L’absence ou l’insuffisance d’accès aux produits bancaires peut donc s’expliquer en raison du caractère inapproprié de l’offre. Intégrant cela, les travaux récents posent à présent la question de l’accès approprié à ces produits bancaires (Sinclair, 2001 ; Panigyrakis et al., 2002 ; Byrne et al., 2005 ; Carbo et al., 2005 ; Devlin, 2005). Toutefois, les questions de l’usage et de l’accès n’ont pas le même statut. L’intérêt ne porte pas directement sur l’usage qui est fait des produits détenus mais sur les barrières à l’usage des produits financiers mainstreams : les caractéristiques inappropriées des produits bancaires ne produisent pas de difficultés d’usage mais conduisent les personnes à ne pas les utiliser. Elles se tournent alors vers la fringe bank pour satisfaire leurs besoins. Les éventuelles conséquences négatives de l’utilisation de ces services plus coûteux et vendus avec peu ou pas de conseils ne sont pas considérées comme le résultat de difficultés d’usage mais de difficultés d’accès aux services bancaires mainstream.

Cette conceptualisation de l’exclusion bancaire conduit à ignorer que les conditions inappropriées attachées aux produits mainstream peuvent ne pas empêcher l’accès mais se révéler nuisibles s’ils sont utilisés : les personnes concernées connaîtront alors de nombreuses difficultés mais « d’usage » cette fois. Ainsi, d’une part, le lien qui est fait entre caractère inapproprié des produits et renoncement à l’accès ou l’usage nous paraît trop mécanique. D’autre part, l’usage des produits mainstream peut lui aussi être marqué par des difficultés ayant leurs propres conséquences comme l’appauvrissement en raison de l’accumulation de frais bancaires ou le surendettement. Ainsi, alors que le surendettement est considéré au sein de ces travaux comme un sujet distinct de l’exclusion bancaire, il en est pour nous l’une de ses dimensions.

L’analyse de l’exclusion bancaire et donc la proposition d’une définition applicable aussi bien à la situation des pays anglo-saxons qu’à celles des pays d’Europe continentale supposent de remettre en cause la focalisation sur les difficultés d’accès, focalisation permise par l’existence d’un secteur bancaire britannique dual.