B. De l’exclusion à l’inclusion bancaire

Cet enrichissement de la problématique de l’exclusion bancaire se traduit au Royaume-Uni par un déplacement sémantique : il est désormais moins question de lutte contre l’exclusion bancaire que d’efforts en faveur de l’inclusion bancaire, même si la seconde correspond à la lutte contre la première comme l’indique explicitement sur son site Internet le Ministère du Trésor48. Ce « toilettage marketing » résulte à la fois d’une volonté de donner une connotation plus positive à l’action gouvernementale49 et de l’inadéquation de la conception de l’exclusion bancaire qui prévalait jusqu’alors.

La reconnaissance des difficultés d’usage aux côtés des difficultés d’accès s’est traduite par une véritable inflexion de la prise en compte de l’exclusion bancaire par le gouvernement britannique. Il a tout d’abord repensé sa stratégie en termes de promotion de l’inclusion bancaire définissant trois priorités complémentaires : l’accès aux produits bancaires, au crédit abordable, et au conseil budgétaire gratuit (HM Treasury, 2004). Ensuite, il a affirmé sa volonté de lutter contre le surendettement en reprenant les deux derniers éléments favorisant l’inclusion bancaire (DTI, 2004) – faisant implicitement du surendettement l’une des facettes de l’exclusion bancaire. Enfin, il a mis en place en février 2005 une commission « inclusion financière » (Financial Inclusion Taskforce) dotée d’un fonds de 120 millions de Livres Sterling (180 millions d’euros) dont le but est d’accompagner cette nouvelle stratégie en consacrant notamment 45 millions de Livres Sterling (67 millions d’euros) au conseil budgétaire et donc explicitement à l’une des dimensions des difficultés d’usage (l’autre étant les caractéristiques des produits et services bancaires dont le conseil).

Mais en dépit de ces résultats opérationnels et de l’effort de formulation de Regan et Paxton (2003), le recours au vocable d’inclusion bancaire ne permet pas d’offrir une définition explicite et renouvelée. Si les difficultés d’usage sont désormais prises en compte aux côtés des difficultés d’accès, le lien systématique qu’entretiennent ces difficultés avec leurs conséquences est tout aussi implicite qu’il ne l’était dans le cas de la définition britannique de l’exclusion bancaire. Favoriser l’inclusion bancaire risque alors d’être assimilé à une extension de l’accès aux produits bancaires sans pour autant que cela ne soit corrélé avec une satisfaction de besoins jusqu’alors insatisfaits, et entraîne des conséquences sociales négatives.

Ces efforts n’ont ainsi pas encore permis un consensus suffisant au Royaume-Uni pour rénover la définition généralement adoptée de l’exclusion bancaire. C’est donc encore la voie du compromis adoptée par Stephen Sinclair (2001, p. 14) qui prévaut. Il admet deux définitions de l’exclusion bancaire. La première, dans un sens étroit, s’apparente aux difficultés pour accéder à un large éventail de services bancaires mainstream ou pour y accéder de manière adéquate. La seconde, dans un sens plus large, considère que l’exclusion bancaire correspond à l’absence d’accès mais également au manque de compétences ou à l’absence de circonstances requises pour contribuer économiquement à la société. En revanche, si elles n’ont pas encore porté tous leurs fruits, ces évolutions britanniques récentes confortent et légitiment a posteriori l’approche originale que nous avons adoptée pour définir l’exclusion bancaire à partir des enquêtes menées pour la Caisse des dépôts et consignations et l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (Gloukoviezoff & Guérin, 2002a ; Brunet et al., 2003 ; Ebermeyer et al., 2003 ; Gloukoviezoff, 2004c).

Notes
49.

Et implicitement d’euphémiser l’existence de difficultés sociales bien réelles.