C. Pour une définition de l’exclusion bancaire

Fort de ces différents éléments, l’étude que nous avons menée pour l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale et la Caisse des dépôts et consignations (Brunet et al., 2003 ; Ebermeyer et al., 2003 ; Gloukoviezoff, 2004c), nous a conduit à définir l’exclusion bancaire comme le processus par lequel une personne – ou un groupe de personnes – rencontre de telles difficultés bancaires d’accès et/ou d’usage qu’elle – ou il – ne peut plus mener une vie sociale normale dans la société qui est la sienne.

Outre le lien essentiel entre les difficultés bancaires et leurs conséquences, l’élément sur lequel il faut insister avant d’aller plus loin dans l’analyse des implications de cette définition, est que nous adoptons ici la logique du processus plutôt que des bornes fixes d’inclusion et d’exclusion. En effet, la possibilité que l’on puisse être confronté au processus d’exclusion bancaire de manière temporaire et/ou évolutive n’en réduit pas la réalité : l’insécurité et les problèmes pour se projeter dans l’avenir qui découlent d’un accès intermittent et/ou de difficultés d’usage passagères, ont des conséquences tout à fait réelles pour ceux qui y sont confrontés. Choisir la logique du processus a donc deux implications majeures.

La première est qu’il existe différents degrés d’exclusion constituant un continuum de situations ordonnées en fonction de la gravité des conséquences produites par les difficultés bancaires rencontrées. À l’instar de Regan et Paxton (2003), nous considérerons simultanément la largeur (l’éventail des produits bancaires effectivement accessibles) et la profondeur (l’adéquation de ces produits aux besoins des personnes) de cette exclusion. Dès lors, en dépit de la signification première du terme « exclusion », des personnes généralement considérées comme incluses parce qu’elles détiennent certains produits seront pour nous confrontées au processus d’exclusion bancaire – et donc « exclues » à un certain degré – si ces produits se révèlent inadaptés et produisent des conséquences négatives62. Ainsi, l’absence de produits bancaires, l’insuffisance de l’accès ou le surendettement sont des manifestations distinctes d’un seul et même phénomène : l’exclusion bancaire des particuliers.

La seconde implication porte sur le caractère dynamique de ce processus. Les situations des personnes qui y sont confrontées ne sont pas figées. Elles sont susceptibles d’évoluer en permanence. Dès lors, il est nécessaire de considérer les réponses aux vues de leurs effets sur la dynamique globale à l’œuvre et non simplement sur l’aspect précisément visé. Il importe également d’avoir à l’esprit que le « public » confronté au processus d’exclusion bancaire est un public hétérogène, certains y étant confrontés de manière permanente quand d’autres ne le sont qu’à l’occasion d’une rupture dans leur parcours.

Notre définition permet donc de dépasser les approches simplificatrices considérant les difficultés bancaires uniquement comme les résultats de la pauvreté monétaire ou de l’exclusion sociale. Certes, la pauvreté monétaire est un facteur très souvent déterminant dans l’apparition de difficultés bancaires. Cependant, d’une part, des personnes ayant un niveau de revenus leur permettant largement d’échapper à la pauvreté monétaire sont confrontées au processus d’exclusion bancaire, et d’autre part, les difficultés bancaires sont aussi et surtout un facteur d’appauvrissement monétaire et d’exclusion sociale. L’approche par les capabilités développée par Sen permet de comprendre cette relation.

Notes
62.

 En ce sens, nous pouvons emprunter à Pierre Bourdieu et Patrick Champagne (1993) l’expression d’« exclus de l’intérieur » pour désigner ces personnes.