Conclusion du chapitre 1

Au terme de ce chapitre, nous avons montré par l’analyse critique de la littérature existante que la compréhension du phénomène d’exclusion bancaire issue de l’approche britannique présentait de sérieuses lacunes qui en limitaient la portée explicative. En se focalisant sur les difficultés d’accès aux produits bancaires distribués par les établissements mainstream, cette approche ne parvient pas à saisir le rôle essentiel des difficultés usage au côté des difficultés d’accès. De même, en ne reliant pas explicitement difficultés bancaire et conséquences sociales, elle se heurte aux situations pour lesquelles absence d’accès ne rime pas avec difficultés sociales. Favoriser l’accès s’apparente dans ce dernier cas à une simple volonté de développer le « marché bancaire » et non plus à la prise en compte d’un phénomène social.

Face à ces carences nous avons proposé une grille de lecture où l’exclusion bancaire est définie comme un processus qui voit les difficultés bancaires d’accès et d’usage avoir des conséquences sociales négatives comprises en termes de privations de capabilités. Cette approche permet d’éviter de se focaliser sur le rôle des établissements et donc implicitement sur leur responsabilité supposée. Ici, ce sont les difficultés bancaires et leurs conséquences qui sont premières pour définir le phénomène. C’est seulement dans un second temps que l’analyse des responsabilités des uns et des autres peut être introduite. Commencer par étudier les mécanismes qui produisent ces difficultés bancaires avant même d’avoir compris le processus dans lequel elles s’inscrivent, conduit immanquablement à passer à côté d’aspects essentiels du processus tant d’exclusion que d’inclusion bancaire. Exclusion et inclusion sont bien ici en relation dialectique.

Sur un plan sémantique, cette approche permet de souligner une proximité supplémentaire entre exclusion bancaire et exclusion sociale : une dénomination inappropriée. Dans un cas comme dans l’autre, il est recouru au terme d’exclusion alors même qu’il s’agit d’un processus sans bornes fixes d’inclusion et d’exclusion. Toutefois, le précédent de l’exclusion sociale dont l’appellation n’a pu être véritablement dépassée en dépit de la qualité et la quantité des travaux scientifiques92, nous a incité à la conserver également pour l’exclusion bancaire.

Ce chapitre nous a donc permis de poser clairement les bases générales de notre grille de lecture du processus d’exclusion bancaire. Le recours au concept de capabilité est à ce titre extrêmement précieux. Il permet de rendre aisément compréhensible comment l’exclusion bancaire s’articule aux problématiques des inégalités, de la pauvreté et de l’exclusion sociale. Notamment, il permet de souligner que les difficultés bancaires ne sont pas seulement le résultat de l’exclusion sociale mais qu’elles en sont également une cause.

Notre approche permet également de revisiter la séparation faite entre exclusion bancaire et surendettement. Si cette coupure est justifiée lorsque l’exclusion bancaire est assimilée de manière restrictive aux difficultés d’accès, elle ne tient plus dans le cadre de notre définition. Il est alors possible de comprendre comment difficultés d’accès et d’usage s’articulent pour produire des conséquences particulières. Le surendettement est ainsi une manifestation des difficultés bancaires tout comme peuvent l’être l’interdiction bancaire, le fait de ne pas avoir accès à certains produits bancaires (underbanked) ou bien de n’avoir accès à aucun produit bancaire (unbanked). Il ne s’agit donc pas de phénomènes particuliers mais de facettes du même processus global.

Cette nouvelle articulation des composantes du processus d’exclusion bancaire est l’un des premiers résultats de nos travaux. Elle permet par la suite de lire les mécanismes à l’œuvre de manière plus complète et d’évaluer les solutions existantes en considérant leurs différentes implications sur chacune de ces facettes. Cependant, avant cela, il importe de comprendre en quoi l’exclusion bancaire est un phénomène social, point sur lequel nous avons insisté sans pour autant le démontrer. Afin de le rendre explicite, il est nécessaire de considérer la place des produits bancaires au sein des sociétés modernes. C’est parce qu’ils occupent une place centrale dans les mécanismes qui assurent la cohésion et la reproduction des sociétés que rencontrer des difficultés bancaires a de telles conséquences. Pour le comprendre c’est le phénomène d’intensification de la financiarisation qu’il convient d’analyser

Notes
92.

 On pense notamment aux travaux de Castel (1995) proposant de recourir au terme de désaffiliation sociale pour désigner ce qui est communément appelé exclusion sociale.