A. La monnaie comme instrument économique

Mise à part l’approche keynésienne, la monnaie, telle qu’elle est généralement prise en compte en économie, est considérée uniquement d’un point de vue instrumental. Elle est un outil sans épaisseur sociale destiné à simplifier les transactions entre individus sans exercer aucun effet sur celles-ci. Cette neutralité supposée conduit à ne faire de la monnaie qu’un « voile » posé sur l’économie réelle. Cette lecture est déjà présente chez Adam Smith et Jean‑Baptiste Say, puis elle se retrouve chez Vilfredo Pareto et William Jevons ainsi que chez leurs successeurs au sein de la théorie quantitative de la monnaie (Guérin, 2000). Mais même lorsque l’hypothèse de neutralité est levée, comme c’est le cas au sein de la théorie monétariste, la monnaie n’est considérée que comme un élément perturbateur du bon fonctionnement des marchés parfaits. C’est notamment le cas d’auteurs comme Friedrich von Hayek, Ludwig von Mises ou Milton Friedman.

Au sein de ces approches l’existence de la monnaie s’explique de deux manières (Blanc 1998 ; Guérin, 2000). La première privilégie un point de vue individuel : elle est un outil aux services des agents économiques dans la réalisation de leurs transactions. La seconde privilégie un point de vue collectif : elle est une norme imposée par l’autorité politique qui subordonne les stratégies individuelles. Dans les deux cas, la question posée est de savoir pourquoi cette monnaie est adoptée par tous.

La New Monetary Economics apporte une réponse transversale à ces deux approches : si la monnaie telle qu’elle existe est bien le résultat de l’imposition par les pouvoirs publics, elle est considérée comme un élément perturbateur du libre fonctionnement des marchés. Cette monnaie publique nuit donc à leur efficacité. Les tenants de ce courant proposent de lui substituer des monnaies privées mises en concurrence : le free banking. Ces monnaies ou plus précisément, ces moyens de paiement pourraient être assimilés à des émissions de titres sur les marchés financiers94. À la suite de l’analyse d’Hayek (1976), le free banking propose donc de supprimer la monnaie imposée politiquement au profit de monnaies privées dont les plus adaptées aux besoins des échanges seraient retenues par les individus.

Quelles que soient les approches, leur fondement idéologique est le même : la « fable du troc ». La monnaie aurait été choisie en raison de ces caractéristiques pour rendre plus commodes les échanges marchands jusqu’alors réalisés sous la forme de troc. Servet (2001) montre en s’appuyant sur divers travaux dont ceux de Polanyi (1983) en quoi cette fable n’est effectivement que cela, et que son invention se justifie par son utilité dans la constitution de l’économie politique comme discipline. Cette compréhension de la monnaie est particulièrement réductrice et contestable tant sur un plan théorique que sur un plan empirique.

Notes
94.

 Voir sur ce point voir Blanc (1998) et Guérin (2000), ainsi que la thèse en cours de Sophie Tasqué (CEPN-CNRS, Université de Paris Nord) sous la direction de Dominique Plihon.