B. Les établissements de crédit au cœur de la vie des particuliers

L’intensification de la deuxième forme de financiarisation (l’intermédiation) entamée au cours des Trente Glorieuses, se poursuit rendant les établissements de crédit rigoureusement incontournables. Alors qu’en 1966, l’accès au compte de dépôt était le fait d’une minorité, 92 % des ménages en détenaient déjà un en 1984 (Bonin), et près de 99 % en 2001 (Daniel & Simon, 2001). Un tel niveau fait de la France l’un des pays où le taux d’accès au compte est le plus élevé au monde. De la même manière, les moyens de paiement scripturaux et principalement le chèque et la carte bancaire prennent le pas sur les espèces. C’est ce que révèle l’évolution récente des moyens de paiement utilisés pour une dépense de 25 euros pour laquelle carte bancaire et chèque passent de 57 % à 63 % en 7 ans (graphique 1).

Graphique 1 : Évolution du modes de paiement utilisé pour une dépense de 25 euros
Graphique 1 : Évolution du modes de paiement utilisé pour une dépense de 25 euros

Source : FBF (2006).

Pour un paiement de 100 euros cette fois, le mode de paiement choisi illustre à quel point la France est aujourd’hui une société financiarisée en comparaison de ses principaux voisins européens (Graphique 2).

Graphique 2 : Comparaison internationale des modes de paiement utilisés pour une dépense de 100 euros
Graphique 2 : Comparaison internationale des modes de paiement utilisés pour une dépense de 100 euros

Source : d’après données Eurobaromètre 63.2 (2005).

Les Français sont ainsi les européens qui ont le moins recours aux espèces (11 %) pour ce type de règlement au sein de toute l’Europe (la moyenne européenne est de 45 %). Ils sont également les premiers utilisateurs de chèques en raison notamment de sa gratuité au point que plus d’un sur deux en Europe est émis en France (Eurobaromètre 63.2, 2005).

La large diffusion de ces moyens de paiement scripturaux participe de la définition de normes rendant la vie de ceux qui en sont exclus, quelle qu’en soit la raison, beaucoup plus difficile. Mais ces normes ne sont que temporaires dans la mesure où les progrès techniques conduisent au développement de nouvelles formes de paiement et à leur diffusion progressive à l’ensemble de la population. C’est actuellement le cas pour les paiements par Internet qui sont aujourd’hui relativement répandus, ce le sera dans un avenir très proche pour les paiements par téléphone mobile142.

Ce recours de plus en plus courant aux produits bancaires se constate également en matière de crédit à la consommation bien que sa diffusion soit relativement lente depuis 1990. La proportion de ménages endettés passe ainsi de 50,9 % en 1990 à 52 % en 2008 et celle des ménages ayant utilisé le découvert bancaire au moins une fois dans l’année passe de 22,5 % à 24,1 % (Mouillart, 2008). Si l’on s’intéresse plus précisément aux ménages endettés au titre des crédits de trésorerie, ils sont un tout petit peu plus d’un tiers dans cette situation en 2008 (contre près de la moitié au Royaume-Uni). Cet endettement se fait par l’intermédiaire des banques de détail qui distribuent découvert, prêts personnels et crédit revolving soit directement à leurs clients, soit par l’intermédiaire de leurs filiales que sont les établissements spécialisés de crédit143.

Compte-tenu de ces éléments, il serait possible de conclure qu’en dépit de la fin des Trente Glorieuses, le processus de financiarisation a poursuivi son intensification à l’identique. S’il a effectivement continué à s’intensifier, la logique à l’œuvre s’est en revanche profondément modifiée.

Notes
142.

 Il est à noter que la principale chaîne de supermarché d’Allemagne offre depuis 2007 à ses clients de payer leurs achats avec leur doigt. Il s’agit de recueillir l’empreinte digitale des clients afin de débiter leur compte. Il n’y a donc pas d’utilisation de carte ou de chéquier. Sachant que 25 % des clients recourent déjà à ce mode de paiement peut-on considérer l’emprunte digitale comme un mode de paiement scriptural ?

143.

En 2003, les deux premiers acteurs français étaient le Crédit Agricole-LCL (32 % de parts de marché dont 14,1 % grâce au réseau, 7,4 % via Sofinco et 4,5 % via Finaref) et la BNP-Paribas (19,6 % de part de marché dont 6,3 % par le réseau et 13,2 % grâce à Cetelem) (Pastré, 2006). Il faut ajouter que depuis, Cetelem a pris le contrôle de Cofinoga autre « grand » de la distribution de crédit à la consommation. Bien que leur activité reste marginale en volume, il faut souligner la persistance des pratiques de prêt sur gage : les monts-de-piété devenus Crédits municipaux continuent d’offrir cette possibilité d’accès au crédit notamment, même si elles sont loin d’être les seules, aux classes populaires au sein desquelles la population récemment immigrée est fortement représentée.