Chapitre 3. Les conséquences des difficultés bancaires d’accès ou d’usage

Introduction du chapitre 3

Lorsque nous avons défini le processus d’exclusion bancaire (chapitre 1), nous avons insisté sur la nécessité de lier les difficultés bancaires et leurs conséquences sociales. C’est en raison de ce lien de causalité que l’exclusion bancaire peut être considérée comme une composante à part entière du processus plus large d’exclusion sociale. À ce stade du raisonnement, nous avions posé les principes d’une prise en compte de ces conséquences en termes de privation de capabilités149.

Pour comprendre en quoi les produits bancaires et les difficultés rencontrées dans leur accès ou leur usage pouvaient réduire les capabilités des personnes concernées, nous avons analysé le processus d’intensification de la financiarisation qui correspond à la contrainte croissante de recourir à des produits bancaires ou financiers pour satisfaire un nombre toujours plus élevé de besoins (chapitre 2). Cela nous a permis de mettre à jour comment ces produits ont progressivement acquis une place centrale au sein des mécanismes qui assurent la cohésion et la reproduction des sociétés.

Il importe donc à présent de comprendre quelles sont ces conséquences sociales des difficultés bancaires. De quelle manière le fait de ne pas avoir accès ou avoir un accès inadapté source de difficultés d’usage participe-t-il au processus d’exclusion sociale ? C’est à cette question que le présent chapitre se propose de répondre.

Si nous avons déjà tracé les grandes lignes de notre compréhension du processus d’exclusion sociale en termes de privation de capabilités, elles méritent d’être précisées afin de permettre une analyse fine des conséquences des difficultés bancaires. Pour cela, la typologie des composantes du lien social proposée par le Commissariat Général du Plan (1992) en termes de lien à soi, lien communautaire et lien sociétaire, est croisée avec l’analyse en termes de capabilités. Cela se révèle particulièrement fructueux car donnant à voir l’articulation des différentes sphères de la vie sociale tant en en considérant les dimensions horizontales et verticales que les interactions dynamiques (Section 1).

Disposant d’une grille de lecture permettant d’organiser l’éventail des conséquences des difficultés bancaires, ce sont tout d’abord celles affectant le réseau social qui sont étudiées. Il apparaît ainsi que la mise à l’épreuve des liens sociétaires se traduit par des difficultés à établir des relations marchandes ou à faire valoir ses droits sociaux d’une part, et par un appauvrissement monétaire d’autre part. Les difficultés bancaires viennent donc réduire l’ampleur des ressources que Sen (1993) qualifie de « marchandes » et de « juridiques ». Mais le réseau social n’est pas que les liens sociétaires. Ce sont également les liens communautaires, ceux qui s’établissent avec les amis et la famille ainsi qu’au sein du couple. Les difficultés bancaires les affectent différemment. Concernant les amis et la famille, les mécanismes à l’œuvre oscillent entre épuisement de la solidarité et honte de la sollicitation alors qu’au sein du couple se sont davantage les inégalités intrafamiliales qui se voient amplifiées parfois au-delà de ce que la solidité de ce lien peut supporter (Section 2).

Les effets des difficultés bancaires sur le réseau social c'est-à-dire sur les liens sociétaires et communautaires, s’accompagnent également d’une mise à l’épreuve du lien à soi. Il s’agit alors des conséquences qui affectent l’estime de soi et, partant, la faculté de convertir les ressources disponibles, même réduites, en fonctionnements. En effet, les difficultés bancaires peuvent affecter ce que Sen (1993) nomme les « prétentions légitimes » qui correspondent à l’évaluation subjective que chacun fait de ses droits et de ses obligations. Une personne confrontée à des difficultés bancaires pourra voir ses prétentions légitimes réduites en raison du jugement qu’elle porte sur sa propre situation, réduction trouvant sa traduction directe dans une diminution des capabilités. Néanmoins, ce jugement étant subjectif, il s’avère que trois principaux types de réaction peuvent être identifiés (rationalisation, revendication, culpabilité) influençant différemment l’ampleur de ces conséquences. En dépit de ces variations de leur ampleur, il apparaît que les conséquences des difficultés bancaires sur le lien à soi peuvent être directes (dépression, problèmes de santé, etc.) et indirectes (réduction des possibilités de convertir les ressources disponibles en fonctionnements). Cette dimension subjective des difficultés bancaires permet ainsi d’articuler l’impact des difficultés bancaires sur les trois types de liens composant le lien social (section 3).

Ayant montré par l’analyse à microéchelle des conséquences des difficultés bancaires, comment elles s’articulent selon qu’elles portent sur les liens sociétaires, communautaires ou à soi, il est enfin possible d’en souligner la dimension verticale. Il s’avère ainsi que par la place occupée par les produits bancaires en tant que mode d’expression de l’appartenance sociale, les établissements bancaires qui en définissent les conditions d’accès et d’usage, assument la gestion d’éléments essentiels du lien social. Dès lors, la logique qui préside à leur régulation et qui les anime, a des conséquences sur la structuration hiérarchique de la société. La régulation marchande croissante à laquelle ils sont soumis favorise ainsi leur influence en tant que facteur de contrôle social et d’aggravation des inégalités. C’est notamment ce qu’enseigne un bref détour par les États-Unis où la régulation marchande du secteur bancaire est plus avancée qu’en France (Section 4).

Notes
149.

Voir le deuxième paragraphe de la deuxième section du premier chapitre.